Intégrer la biodiversité à sa stratégie globale

Les interdépendances entre vivant et économie sont nombreuses. Pourtant la prise en compte de la biodiversité par les entreprises est encore anecdotique ou se limite à de la mesure globale, sans chercher suffisamment pour l’instant à entrer dans l’action afin de réduire les pressions sur la biodiversité. Pour assurer leur résilience, les acteurs économiques peuvent initier une démarche intégrant une pluralité d’enjeux.

Elise Bourmeau à Produrable, aux côtés de Nicolas Métro et de Constance Von Briskorn

Changer de modèle pour se reconnecter au vivant

Les choix que nous faisons ont et auront, à travers l’ensemble des couches de notre société, un impact sur le vivant et la manière dont il s’organise. Le modèle économique représente un pan non négligeable de la manière dont notre société vit, c’est également par-là que la bascule doit avoir lieu.

La plénière d’ouverture de la dernière édition du salon Produrable s’interrogeait sur la nécessité du levier culturel pour assurer la bascule de la société vers un modèle plus juste et plus respectueux de la biodiversité dont l’être humain fait partie.

Lors de cet événement, Elise Bourmeau, directrice conseil GreenFlex, a participé à la table ronde sur le vivant comme inspirateur de nos modèles économiques. Aux côtés des autres intervenants, elle a rappelé que pour les activités économiques, le vivant ne se résume pas à une opportunité.

Les entreprises et le vivant sont interdépendantes

Le vivant, dont nous faisons partie, est partout. Même dans l’économie qui n’est pas hors sol ! Toutefois, et comme le rappelait Tarik Chekchak, directeur du pôle biomimétisme de l’Institut des Futurs Souhaitables lors de la table ronde, la nature est avant tout perçue comme un stock.

55 % du PIB mondial est lié au vivant et aux services écosystémiques rendus.

Dans l’approche linéaire de notre économie, sur le modèle « extraire – produire – jeter », le vivant est une ressource, réservoir pour le fonctionnement de nos activités. Pourtant, cette approche fragilise les acteurs économiques dont les activités peuvent détruire la biodiversité. À contre-courant de ce modèle court-termiste qui épuise la planète, le passage à une vision du vivant comme modèle et inspiration constitue un puissant levier de transformation des modèles économiques de manière profonde.

 

Un homme en tenue d'apiculteur soulève un rayon d'une ruchesur un toit

La biodiversité est trop peu soutenue par les entreprises

Face à cette menace pour leur pérennité, trop peu d’acteurs économiques s’engagent et prennent des mesures pour intégrer la biodiversité dans leurs stratégies. De réels plans d’action permettraient pourtant de réduire l’impact des 5 facteurs de pression qui pèsent sur la biodiversité, tels qu’identifiés par l’IPBES.

Et quand des entreprises s’engagent, souvent de bonne foi, le manque de connaissance général sur les sciences du vivant et l’absence de métrique (comme l’est le CO₂ pour les stratégies climatiques) conduisent souvent à des démarches partielles voire anecdotiques tels que les inventaires, liés aux exigences réglementaires en amont d’un projet local. Ces inventaires, pensés comme des photographies à un instant donné, sont peu reconduits ultérieurement, pour des raisons budgétaires.

Au-delà de ces inventaires, d’autres actions rapides à mettre en place peuvent être contre-productives : l’installation de ruches, populaire ces dernières années, peut par exemple perturber les populations d’abeilles sauvages, déjà implantées localement.

Focus : les 5 facteurs de pressions sur la biodiversité identifiés par l’IPBES

L’IPBES, le GIEC de la biodiversité, a listé 5 facteurs de pression sur la biodiversité :

  1. les changements d’usage des terres et de la mers
  2. la surexploitation de certaines espèces (déforestation, surpêche, braconnage)
  3. le changement climatique
  4. la pollution de l’eau, de l’air, des sols
  5. la propagation d’espèces invasives.

Prendre en compte la biodiversité pour l’intégrer à son modèle économique : par où commencer ?

Une stratégie ambitieuse et efficace permettra de se prémunir des risques associés à la perte de biodiversité. Cette démarche s’organise autour de 3 grands piliers, dont plusieurs font partie de la méthodologie type « SBTN ».
Gros plan des nervures d'une feuille jaune
Gros plan d'une plante grasse verte

1. Former ses équipes

La formation de l’ensemble des collaborateurs apparaît comme un premier pas afin de se saisir des enjeux liés au vivant.

Les acteurs économiques pourront, par exemple, faire participer les salariés à des Fresques de la Biodiversité, Santé-Environnement ou Agro-écologie. Ces ateliers collaboratifs permettront à tous de s’approprier les enjeux et comprendre les pressions exercées sur la biodiversité par les activités humaines, tout en réalisant à quel point nous dépendons des services écosystémiques pour notre santé et nos activités économiques.

2. Identifier les causes et les dépendances

La création de la feuille de route biodiversité part d’un diagnostic concret inspiré de la méthode SBTN avec l’analyse des pressions et dépendances appliquée à l’entreprise (produits/services, chaîne de valeur amont/aval, géographies).

Le SBTN ou Science Based Targets Network est un réseau international qui a publié des grandes orientations pour aider les entreprises à réduire leur impact sur la biodiversité, l’eau douce, l’océan, les terres et le climat.

L’analyse des pressions et dépendance est un diagnostic fin permettra de hiérarchiser les enjeux et d’identifier plus aisément les leviers d’action pour réduire les impacts négatifs et également régénérer la biodiversité dans certains cas.

Ce procédé questionne l’ensemble de la chaîne de valeur des organisations et leur modèle économique.

3. Répondre aux enjeux en croisant les approches

On obtient ainsi une première évaluation qui établit des objectifs, en adéquation avec les limites planétaires, préparant le terrain pour les actions d’évitement, de réduction, de régénération ou de restauration.

Comme le soulignait Tarik Chekchak lors de la conférence Produrable, avoir une approche systémique est nécessaire, afin de nous réinscrire dans les limites planétaires. Le croisement des différentes approches, permettant de comprendre les causes et les effets de l’érosion de la biodiversité, à tous les niveaux, assure la réponse la plus adaptée.

En effet, l’interdisciplinarité est un facteur clé, à ne pas négliger. Les actions peuvent, a priori, s’éloigner des thématiques biodiversité stricto sensu. Une stratégie bas carbone, par exemple, est un point de départ relié à la biodiversité et à l’économie circulaire. Si elle est bien pensée, la contribution carbone répond aux enjeux à la fois du climat, avec l’augmentation des puits de carbone, mais aussi à la régénération de la biodiversité, grâce à des projets renforçant la fertilité des sols, assurant le bien-être animal ou préservant les milieux humides.

Gros plan des lamelles d'un champignon

Quelles solutions concrètes pour mieux intégrer la biodiversité à son entreprise ?

Une fois ces premières étapes menées, des actions émergent en fonction des spécificités de chaque entreprise. Là encore, s’inspirer de la nature, de ses mécanismes de fonctionnement ou de son organisation, fera radicalement évoluer l’ensemble de la stratégie de l’organisation.

Le biomimétisme pour modifier ses produits et services


Le biomimétisme, par exemple, est un process de R&D qui s’inspire du vivant pour des applications produits ou services. Il peut s’agir d’une transposition d’une pratique à un autre secteur : les spécialistes des sols soulignent le rôle important des champignons dans la santé des sols forestiers. La première marche du biomimétisme serait d’enrichir les sols agricoles de champignons, ou de s’inspirer des échanges existants entre sols et champignons, de manière très locale et adaptée aux spécificités de chaque sol.
Gros plan de la langue d'un chat faisant sa toilette

Pour aller plus loin dans le biomimétisme, certaines entreprises développeront un produit éco-conçu. Inspirées par la capacité des mammifères à se nettoyer sans eau, en utilisant la salive, les équipes de recherche de L’Oréal ont approfondi ce thème, par l’observation de la langue des chats. Ce projet a fait émerger la structure extrêmement particulière de la langue de l’animal, qui rend la toilette du chat efficace. Cette observation est désormais une opportunité pour le développement de solutions d’hygiène innovantes.

La coopération pour faire évoluer son modèle d’affaire

L’organisation du vivant, qui travaille par coopération, est aussi une source d’inspiration pour évoluer.

Dans le secteur de l’agriculture, pour remédier à l’organisation en silo de l’ensemble de la filière, de nouvelles approches émergent. Pour parvenir à protéger le vivant, en transformant les modèles d’entreprise, la coopération s’accentue, par exemple grâce à de nouveaux réseaux de partages entre agricultrices et agriculteurs.

Les organisations, en s’ancrant dans une démarche collective, sur l’intégralité de leur chaîne de valeur amélioreront leur résilience. C’est le cas d’une coopérative agricole française d’ampleur régionale qui a initié sa décarbonation. Pour mener à bien le projet, les équipes conseil de GreenFlex qui ont accompagné cet acteur ont travaillé sur le scope 3. Elles ont donc identifié et priorisé des actions sur la chaîne de valeur amont (approvisionnements en engrais organiques plutôt que minéraux) et aval (évolution de la production de grains jusque là séchés par recours aux énergies fossiles et exportés hors de l’UE). La mission a donc questionné les pratiques de production, tout autant que les filières, en termes de débouchés.

L’intégration du vivant au cœur des modèles d’affaires des entreprises est déjà sur le devant de la scène, avec les exigences de la CSRD. Cette directive européenne encadre la manière dont les entreprises communiquent sur les impacts de leur activité sur le climat, la biodiversité, les travailleuses et travailleurs, la pollution, etc.

D’autre part, la notoriété des méthodologies de protection et de restauration du vivant grandit. L’adoption sans attendre des pratiques du vivant par les entreprises leur permettra de renforcer leur résilience et d’améliorer leur adaptation face au changement climatique. Deux leviers nécessaires pour assurer leur pérennité.

En effet, les modèles socio-économiques dépendent clairement de la bonne santé du vivant à la fois en termes de développement économique mais également en termes de santé comme le soulignent les modèles One Health ou Planetary Health.

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