Comment décarboner ?
#1 Intégrer systématiquement le vivant

Dans ce premier volet, GreenFlex décrypte pourquoi et comment intégrer plus systématiquement le vivant

À mesure qu’ils intègrent la neutralité carbone comme le combat environnemental phare des prochaines décennies, politiques, entreprises et société civile tendent à négliger les autres enjeux. Il faut corriger cette omission pour prévenir les dommages collatéraux, mais aussi assurer le succès des stratégies de décarbonation, car tout est lié.

Restaurer la biodiversité, c’est également agir pour le climat

Mi-juin, le GIEC et son équivalent biodiversité, l’IPBES, appelaient à une lutte conjointe pour le climat et le vivant¹. En particulier, ils alertaient sur les stratégies de décarbonation, qui oublient souvent la biodiversité et risquent ainsi d’échouer, alors que les deux sujets sont étroitement liés.

Les écosystèmes répondent à un équilibre fragile. Une forêt « vivante » se développe, par exemple, en s’appuyant sur les interactions entre la faune, la flore, le cycle de l’eau et celui du carbone. Toucher l’un des éléments affecte l’ensemble. Le réchauffement de la planète déstabilise donc largement ces interdépendances. Pourtant, la biodiversité est une alliée majeure dans la bataille climatique. Si baisser nos émissions doit rester la priorité pour tous les secteurs, augmenter nos puits de carbone en parallèle est indispensable. Le vivant offre justement un potentiel de stockage majeur : dans les végétaux grâce au mécanisme de la photosynthèse, dans les sols et océans via la décomposition de la matière organique, etc.

Ainsi, climat et biodiversité s’influencent constamment. Préserver et restaurer nos écosystèmes augmente les puits de carbone, donc participe à atténuer le réchauffement climatique. À l’inverse, dégrader la biodiversité, c’est aussi déstocker plus de carbone, donc aggraver le réchauffement. La boucle est bouclée. Il est temps de réunir les deux combats.

Vue en plongée d'une forêt et d'une étendue d'eau

Intégrer le vivant et multiplier les bénéfices

Dans leur rapport, le GIEC et l’IPBES pointent les dommages collatéraux, voire l’inefficacité des démarches bas carbone qui omettent le vivant dans leur conception ou leur mise en œuvre. Sur le papier, les biocarburants et l’énergie hydraulique sont, par exemple, des alternatives moins carbonées. Mais on détériore les écosystèmes, et avec eux leur potentiel de stockage carbone, lorsqu’installer des barrages pousse à inonder des terres fertiles, ou que cultiver des matières premières à des fins énergétiques (palme, colza, champs d’arbres…) mène à défricher ou déforester. Au contraire, intégrer le vivant dans les stratégies de décarbonation renforce leur efficacité et multiplie les bénéfices.

Entreprises et collectivités peuvent soutenir l’évolution des pratiques agricoles, pour améliorer la santé des sols et renforcer, par conséquent, les puits de carbone. Nataïs, fabricant de popcorn, accompagne ses producteurs en ce sens et rémunère chaque tonne de carbone stockée. En ce qui concerne l’approvisionnement, il s’agit par exemple de s’opposer à la déforestation, préjudiciable tant pour le climat que la biodiversité. Duralim aide ainsi à trouver du soja plus vertueux pour l’alimentation animale, et RSPO certifie l’huile de palme durable. Toujours côté achats, se tourner vers des matériaux biosourcés peut allier stockage de carbone et soutien de filières agricoles durables. C’est le cas de la Cavac, qui valorise la paille de chanvre et de lin produits dans un rayon de 100 km, pour fournir le bâtiment ou l’industrie. De plus en plus de collectivités font, quant à elles, le pari de l’énergie issue de la biomasse, en revalorisant les déchets verts, agricoles, alimentaires…

Ainsi, les acteurs économiques qui tiennent compte des écosystèmes dans leur démarche bas carbone renforcent aussi leur engagement RSE, sécurisent leur chaîne de valeur, et anticipent les pressions à venir. La tenue prochaine du Congrès mondial de la nature, puis de la COP15 biodiversité² prouvent que les cadres nationaux et internationaux vont se durcir pour préserver le vivant. Enfin, le risque réputationnel auprès du grand public, positif comme négatif, est particulièrement fort sur un sujet encore plus émotionnel et palpable que le climat.

Des stratégies de décarbonation à ajuster

Dès à présent, chaque acteur économique doit revoir sa stratégie de décarbonation pour intégrer plus systématiquement le vivant, selon trois lignes directrices :

Évaluer l’impact sur la biodiversité de toutes les actions définies dans sa démarche bas carbone, et faire de la préservation des écosystèmes un critère de décision prioritaire ;

Ajouter des actions directement liées à la restauration de la biodiversité, en identifiant les impacts de son activité sur celle-ci tout au long de la chaîne de valeur ;

Choisir des projets pertinents en fonction de son cœur de métier, réfléchir en local pour adapter les actions à chaque écosystème, et travailler en synergie avec les acteurs des territoires.

Reste la question des indicateurs. Chaque acteur devra trouver les plus adéquats pour piloter ses actions et prouver son impact positif, car il n’existe pas d’équivalent « CO2″ pour mesurer la régénération de la biodiversité. Le carbone stocké fait partie des paramètres clés, mais le vivant nous rend bien plus de services que cela. Si réparer les écosystèmes est finalement une façon simple et sûre de s’engager pour le climat, le combat en lui-même est au moins aussi crucial : celui de la sécurisation de la vie sur Terre.

1 Climat : certaines mesures contre le réchauffement mettent en danger la biodiversité alertent le Giec et l’IPBES – La Croix

2 Conférence des Nations Unies sur la biodiversité 2020 – Climate Chance