Biodiversité : le risque économique et financier est sous-estimé

Sauver le vivant est aussi une question de survie économique et financière. Elise Bourmeau et Camille Poutrin nous expliquent pourquoi, et comment inverser la tendance avec pragmatisme

Biodiversité : une menace plus forte que le climat ?

Au moment du confinement, circulait un dessin où trois vagues de tailles croissantes menaçaient les sociétés humaines : le Covid-19, la récession économique, puis le réchauffement climatique. Une quatrième vague a été ajoutée, plus haute encore : l’effondrement de la biodiversité. La COP15 vient de se terminer à Montréal et l’accord qualifié de comparable à celui de Paris par certains États doit permettre enfin de sceller une mobilisation internationale en faveur du vivant. Le chef du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), Achim Steiner, a qualifié l’accord d’historique, exhortant les pays à le faire progresser en rappelant : « La biodiversité est interconnectée, entrelacée et indivisible avec la vie humaine sur Terre. Nos sociétés et nos économies dépendent d’écosystèmes sains et fonctionnels. Il n’y a pas de développement durable sans biodiversité. Il n’y a pas de climat stable sans biodiversité ». Ce qui s’est joué à Montréal, et pour la biodiversité en général, est pourtant crucial.

 

A tort, elle est souvent restreinte à la sauvegarde de quelques espèces emblématiques. Le vivant est en fait partout autour de nous, et plus de la moitié du PIB mondial dépend de lui et des services écosystémiques. Bien sûr, la biodiversité mérite qu’on la préserve en soi, mais sa destruction systématique constitue aussi une menace économique et financière conséquente, et sous-estimée, pour les entreprises. Seules 20 % d’entre elles identifiaient la biodiversité comme un risque important en 2020, contre 95 % s’agissant du climat.

Cartoon MacKay cartoons sur les menaces

Dépendance économique sous-estimée au vivant

La vague de l’érosion de la biodiversité pourrait dépasser celle du changement climatique, car ses impacts jouent sur tous les cycles naturels. Notre économie dépend des services environnementaux, aussi bien pour réguler le cycle de l’eau, le climat, la qualité de l’air ou la santé des sols, que pour lutter contre les inondations, les maladies et les ravageurs. Le vivant nous approvisionne également en nourriture, matériaux et combustibles. Enfin, il dessine nos paysages, offre un support à nos loisirs, au tourisme, à nos cultures.

Les acteurs économiques dépendent donc de la biodiversité tout au long de leur chaîne de valeur, et influent sur elle : extraction de matériaux, modes de production des matières premières agricoles, pollutions plastiques et rejets polluants, artificialisation due à la construction de bâtiments, transports et parkings… Détruire le vivant, c’est détruire le socle de notre économie, dont l’accès aux matières premières et la disponibilité en eau, mais aussi renoncer aux solutions que la nature nous apporte pour une économie plus résiliente, à commencer par stocker du carbone ou nous aider à nous adapter aux conséquences du dérèglement climatique.

Homme blanc en costume cravate devant le Parrlement Européen

Un risque financier croissant

En parallèle, la pression réglementaire accélère et mobilise les acteurs financiers et les entreprises. Une restructuration de la finance est en cours, en particulier au niveau européen, afin de réorienter les flux d’argent vers les activités durables, et la préservation de la biodiversité fait partie des objectifs environnementaux ciblés. Ces évolutions visent à la fois à :

  • Définir une grille de lecture partagée : c’est le cas de la taxonomie verte européenne, qui apporte une classification de ce qui est considéré comme vert ou non, et permet de comparer les acteurs économiques entre eux pour financer les plus vertueux ;
  • Etendre l’obligation de reporting : la SFDR¹ va ainsi contraindre les financeurs à reporter sur les entreprises dans lesquelles ils investissent, notamment sur les risques liés à la biodiversité. Côté entreprises, l’obligation de communiquer sur ces critères émanera de la CSRD², nouveau cadre de reporting extra-financier qui va s’imposer à des entreprises de tailles plus petites que la NFRD³. En France, l’article 29 de la loi énergie-climat renforce aussi les attentes de reporting en matière de climat et biodiversité. Enfin, la TNFD travaille au niveau international sur un cadre de reporting dédié aux enjeux liés à la nature ;
  • Renforcer l’obligation d’agir en faveur de la biodiversité : l’objectif ZAN (Zéro Artificialisation Nette) issu de la loi climat et résilience en France, et la loi sur la déforestation importée adoptée par le Parlement européen début décembre, en sont deux exemples.

Ainsi, les investisseurs ont de plus en plus intérêt à vérifier que les entreprises sont robustes sur la biodiversité, au même titre que sur le climat. Les entreprises, elles, doivent faire preuve d’une transparence croissante sur ces enjeux, et renforcer leurs engagements pour continuer à trouver des financements.

Résumé des causes de l'effondrement de la biodiversité

Agir et faire de la biodiversité une solution

Contrairement au climat, on peut inverser la tendance et régénérer la biodiversité, dès lors que les espèces n’ont pas complètement disparu. Difficile de trouver un indicateur équivalent au « carbone » pour refléter la « diversité » du vivant. Cependant, les métriques ne doivent pas retarder l’action. Avec pragmatisme, chaque entreprise peut commencer à construire sa stratégie et son plan d’actions :

  • En identifiant et en réduisant dès à présent l’impact sur la biodiversité tout au long de sa chaîne de valeur, grâce aux 5 facteurs de pression décrits par l’IPBES (surexploitation des espèces, dégradation et pertes d’habitat, changement climatique, espèces exotiques et maladies, pollution) ;
  • En évaluant son niveau de « dépendances au vivant », sans lesquelles l’entreprise ne saurait fonctionner, puis agir dans une optique de gestion des risques et de maintien des services écosystémiques rendus.

Crédit image : Ministère de la Transition écologique /Bluenove 

Pour préserver l’équilibre entre le vivant et leurs activités, les acteurs économiques pourront alors trouver nombre d’actions liées à leur cœur de métier : choisir des sources d’approvisionnement responsables, mieux gérer ses impacts en aval, optimiser la conception des sites ou infrastructures, de façon à réduire l’artificialisation des sols… Très vite, ils constateront aussi l’interdépendance de la biodiversité avec les autres sujets de transformation durable de leur organisation. Puisque climat et vivant sont indissociables, bâtir et déployer sa stratégie bas carbone contribuera par exemple aux deux objectifs. Les experts GreenFlex croisent leurs spécialités autour du vivant, du carbone, de l’économie circulaire, de la RSE, etc. pour agir avec une approche multi-impact et révéler ces synergies.

Se mobiliser le plus tôt possible pour la biodiversité, c’est accroitre les capacités de résilience des entreprises, de l’économie et de la société. La COP15 vient de se terminer et l’accord conclu, présente de réels engagements en faveur de la biodiversité mais rappelle également que c’est une seule espèce, Homo Sapiens, qui est responsable de l’hécatombe. Il reste à analyser plus en détail, comment les États, les investisseurs financiers et les entreprises seront incités à évaluer et reporter leurs impacts négatifs et positifs sur la biodiversité dans et en dehors des aires protégées.

1 SFDR : Sustainable Financial Disclosure Regulation
2 CSRD : Corporate Sustainability Reporting Directive
3 NFRD : Non-Financial Reporting Directive
4 TNFD : Taskforce on Nature-related Financial Disclosures

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