Yakafokon : « Pour préserver la biodiversité, il faut protéger les forêts »

Installer des ruches ou préserver les forêts… les actions des entreprises pour préserver la biodiversité passent pour l’instant à côté des enjeux de son effondrement. Socle des activités économiques et humaines, le vivant mérite un engagement systémique d’une toute autre échelle

Par Marie Meilland, Consultante Senior

« Pour sauver la planète, il n’y a qu’à… Il faut… Les entreprises doivent… » Ces injonctions vous sont familières ? Dans la série « Yakafokon », GreenFlex démêle le vrai du faux dans les grands poncifs censés guider le monde de demain, afin d’aider les acteurs économiques à changer concrètement et efficacement de trajectoire.

Biodiversité : un pilier de l’économie mal connu des entreprises

Jeudi 6 octobre, le WWF alertait une nouvelle fois sur la situation des animaux sauvages. Dans la dernière édition de son rapport « Planète vivante », l’ONG indique que le nombre d’individus des populations vertébrées a baissé en moyenne de 69 % entre 1970 et 2018. Quel lien avec les entreprises ? Ils sont nombreux, en vérité. Pourtant, le sujet est bien moins préempté que le réchauffement climatique : selon une étude de Mazars en 2020, seules 20 % des entreprises identifiaient la biodiversité comme un risque important¹, contre 95 % concernant le climat.

Moutons paissant dans une prairie

Plutôt perçue comme une opportunité, la biodiversité fait certes l’objet d’actions de plus en plus nombreuses, mais souvent anecdotiques, quand elles ne sont pas inefficaces. Prioriser ses enjeux et son plan d’actions s’avère en effet complexe. Les représentations collectives brouillent notamment les impacts les plus pertinents à traiter :

  • On observe par exemple un manque de lien avec l’activité principale de l’entreprise. Amener des moutons sur son site pour faire de l’éco-pâturage pourrait être bénéfique pour une entreprise de services, mais pas forcément pour une entreprise du secteur agroalimentaire, dont l’amont agricole concentre bien plus d’enjeux que son siège.
  • Il faut aussi veiller aux externalités négatives que peut avoir un projet sur d’autres enjeux. Végétaliser sa façade avec des plantes ornementales exotiques induit des surcoûts énergétiques pour faire fonctionner un système d’irrigation, pourtant évitables en privilégiant des plantes grimpantes ou des espèces végétales adaptées au climat local.
  • Certaines mesures sont même contre-productives. L’engouement pour les ruches le démontre. Elles ont tendance à préserver les abeilles domestiques, ce qui accroît la concurrence avec les abeilles sauvages déjà menacées, mais aussi l’homogénéisation des espèces du fait de l’élevage.²
  • Enfin, la compensation seule ne couvrira jamais les impacts. Planter des arbres en échange de l’achat de produits ne garantit pas de diversifier les essences, de gérer plus durablement nos espaces, ni de réduire la consommation au sens large.

Ainsi, l’engagement des entreprises pour la biodiversité est pour l’instant essentiellement symbolique. Au contraire, il est temps de mesurer combien elle règne au cœur de nos activités. Présente partout, elle est le socle de notre économie : 55 % du PIB mondial dépend de la biodiversité³ et des innombrables services que nous rend la nature.

Quels liens entre les activités humaines et la biodiversité ?

Prendre en compte la biodiversité en tant qu’entreprise dépasse donc largement l’installation de ruches sur le toit, ou de moutons dans son parc. Entre autres, le vivant offre des matières premières, comme le bois pour la construction, des fibres végétales ou des matières animales pour nos industries. C’est un réservoir de molécules actives pour la pharmacie ou les cosmétiques. La biodiversité assure la pollinisation, indispensable à la production de notre alimentation, et participe à la formation des sols, également essentielle à l’agriculture, ainsi qu’au stockage du carbone. Elle fournit aussi directement des ressources alimentaires et assure la régulation de l’eau douce. Sans elle, pas d’activités économiques, ni de vie humaine.

Macro d'une plante pampa

En parallèle, nos activités pèsent sur la biodiversité à travers 5 facteurs de pression :

  • Dégradation et perte d’habitat : le développement d’infrastructures, l’urbanisation ou l’artificialisation des terres détruisent les habitats naturels et les continuités écologiques, mettant en danger les espèces qui y vivent.
  • Surexploitation des ressources produites par les écosystèmes : l’Homme prélève les organismes vivants dans leur milieu, à un rythme qui les empêche de se renouveler.
  • Changement climatique : d’origine anthropique, les changements de température poussent des espèces à se déplacer vers des climats plus appropriés, et brouillent les signaux.
  • Espèces exotiques envahissantes : introduites volontairement ou non dans des milieux étrangers, elles menacent et entrent en compétition avec les espèces autochtones.
  • Pollutions : la pollution des sols, de l’eau, de l’air, ou encore sonore et lumineuse, perturbe et intoxique les organismes vivants.

Quelques solutions pour préserver la biodiversité

Pour préserver l’équilibre entre le vivant et nos activités, la priorité est de relier les actions mises en œuvre à son cœur de métier. Sauver les forêts, oui, à condition de s’assurer d’abord que c’est pertinent au regard des impacts de l’entreprise. Pour une stratégie biodiversité cohérente, il faut avant tout une bonne connaissance de ces impacts directs et indirects. Les cinq facteurs de pression cités plus haut aident à les identifier tout au long de la chaîne de valeur. On pourra alors prioriser les mesures à prendre, telles que :

  • Choisir l’implantation des sites dans une logique de réduction de l’artificialisation des sols ;
  • Sélectionner ses sources d’approvisionnement de façon responsable (matières premières agricoles, matériaux, etc.) ;
  • Végétaliser tous ses sites : de production agricole ou industrielle, mais aussi ceux relevant d’une activité tertiaire ;
  • Réduire la pollution lumineuse ;
  • Établir et déployer sa stratégie bas carbone, car climat et biodiversité sont étroitement liés.

Les actions mises en place bénéficieront à d’autres enjeux : atténuation ou adaptation au changement climatique, économie circulaire, santé et bien-être, etc. La biodiversité nous concerne tous et toutes, et nous sommes autant à pouvoir agir. A quelques semaines de la COP15 biodiversité, le WWF peine à croire à l’action politique. Les acteurs économiques peuvent-ils prendre le relais pour préserver le vivant ? Ils en seraient les premiers gagnants.

1 Baromètre RSE 202 – Mazars
2 Le boom des ruches en ville, une menace pour la biodiversité – La Gazette des communes
3 La moitié du PIB mondial menacé en raison du déclin de la biodiversité – Novethic

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