6ème rapport d’évaluation du GIEC, que retenir du deuxième volet publié en février 2022 ?

Dans cette nouvelle publication, les experts du GIEC avertissent sur les impacts actuels et futurs du réchauffement climatique. Plus que jamais, ils appellent à la justice sociale, et recommandent des solutions d’adaptation qui lient enjeux climatiques, écosystèmes et sociétés humaines

Volet 2 du rapport du GIEC : de quoi s’agit-il ?

Relié à l’ONU, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) produit régulièrement des rapports pour rendre compte de l’état des connaissances scientifiques en matière de climat. Ses experts planchent actuellement sur le 6ème rapport d’évaluation, qui paraîtra dans sa version complète en septembre prochain.

La tâche est répartie entre 3 groupes de travail :

  • Le premier, dont la publication est sortie en août 2021, s’est intéressé à l’état du climat.
  • Le deuxième vient de rendre ses conclusions, en se focalisant sur les impacts et les mesures d’adaptation face au changement climatique.
  • Le dernier se concentre sur les méthodes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour atténuer le réchauffement. Il dévoilera ses conclusions début avril.

Pour le second volet, dévoilé le 28 février 2022, 269 auteurs et autrices bénévoles ont réalisé la synthèse de 34 000 papiers scientifiques. Les gouvernements membres ont validé chaque ligne du résumé pour décideurs.

Écosystèmes et sociétés humaines : les impacts

Comme reconnu dans la première partie de ce 6ème rapport d’évaluation du GIEC, le réchauffement provoqué par l’Homme augmente la fréquence et l’intensité des phénomènes climatiques et météorologiques extrêmes. Par conséquent, les impacts sur la nature et les sociétés humaines se généralisent. Les écosystèmes terrestres, marins et d’eau douce souffrent de dommages conséquents et de plus en plus irréversibles. Poussées au-delà de leurs capacités d’adaptation, environ la moitié des espèces mondiales se sont déjà déplacées vers les pôles ou, sur terre, vers des altitudes plus élevées.

Pour les systèmes humains, le changement climatique menace la sécurité alimentaire et l’accès à l’eau, la santé physique et mentale, ainsi que les infrastructures clés (transports, énergie, assainissement…). Les conséquences économiques sont déjà ressenties régionalement dans des secteurs comme l’agriculture, la gestion forestière et la pêche, l’énergie ou encore le tourisme. On constate aussi une aggravation des crises humanitaires, avec des déplacements de population. Bien que d’autres déterminants prévalent pour l’instant, la crise climatique pourrait accentuer les conflits.

Vue arienne de bateaux de pêches près d'une zone côtière

Justice sociale et vulnérabilités en cascade

C’est un message notable comparé aux évaluations précédentes : l’enjeu de justice sociale est criant dans cette nouvelle publication du GIEC. 3,3 à 3,6 milliards de personnes sont déjà considérées comme très vulnérables au changement climatique, avec des inégalités fortes selon les régions. Celles avec de fortes contraintes de développement sont davantage menacées, particulièrement l’Afrique de l’Ouest, centrale et de l’Est, l’Asie du Sud, l’Amérique centrale et du Sud, les petits Etats insulaires en développement, et l’Arctique. Les zones polaires, les montagnes et les côtes sont aussi plus exposées. Surtout, toute forme d’inégalité ou de marginalisation augmente la vulnérabilité, qu’elle soit liée au genre, à l’ethnie, au niveau de revenus… Les peuples autochtones et les communautés locales sont particulièrement touchés.

Ce deuxième groupe de travail insiste sur un autre enseignement : il faut considérer beaucoup plus fortement les interdépendances entre le système climatique, les écosystèmes et les sociétés humaines. Ainsi, la dégradation et la destruction du vivant renforcent à la fois la vulnérabilité des écosystèmes et celle des Hommes. La menace est d’autant plus grande que les impacts et risques liés ou non au changement climatique interagissent et formeront des réactions complexes en cascades. Les récoltes perdues en raison des sécheresses croissantes pourraient par exemple réduire la production alimentaire, induisant une augmentation des prix, qui causerait elle-même une baisse des revenus des ménages, puis une augmentation des risques de malnutrition, une dégradation de la santé humaine, et donc une vulnérabilité encore plus grande à la crise climatique.

L’urgence du court-terme face aux risques futurs

Toujours d’après le précédent volet de ce 6ème rapport d’évaluation, la hausse globale des températures atteindra ou dépassera probablement 1,5°C à court-terme. D’ici 2040, la majorité des risques deviennent ainsi inévitables pour les écosystèmes et les sociétés humaines. En revanche, l’adaptation est essentielle pour limiter les pertes et dommages. Toute action participant à limiter le réchauffement climatique proche de ce seuil de 1,5°C réduira aussi significativement leur gravité.

A moyen et long-terme, les risques pour les Hommes et la nature exploseront ou diminueront en fonction des actions d’atténuation et d’adaptation entreprises dès aujourd’hui. Qu’il s’agisse de la biodiversité, de l’accès à l’eau et à la nourriture, de la santé physique et mentale, des infrastructures, ou des déplacements de population, les impacts, ainsi que les pertes et dommages associés s’aggraveront avec chaque degré supplémentaire. Limiter le réchauffement à 1,5°C est encore possible, et crucial, sous peine de provoquer des effets irréversibles, voire d’entraîner l’affaiblissement des puits de carbone naturels et donc la libération de gaz à effet de serre.

Loin d’être fataliste, le GIEC insiste sur le fait que les solutions existent. Les efforts d’adaptation se développent partout et montrent leurs bénéfices. Toutefois, ils sont insuffisants et privilégient pour l’instant les risques immédiats, au lieu de saisir l’opportunité de se transformer. La plupart des initiatives sont fragmentées, à petite échelle, incrémentales et spécifiques à un secteur. Elles se concentrent aussi sur la planification plus que sur la mise en œuvre, et ont tendance à maintenir voire accroître les inégalités.

Empreintes de chaussures dans le sable

Pour s’adapter : coordination et multi-impact

Les approches intégrées et multi-impact, qui prennent en compte les inégalités et adaptent leurs réponses aux risques climatiques, augmentent à l’inverse la faisabilité et l’efficacité de l’adaptation. Les pratiques agroécologiques, la gestion des forêts, la protection et la restauration de la biodiversité constituent des actions efficaces. Les interdépendances évoquées précédemment font que les solutions basées sur la nature présentent en général de multiples co-bénéfices pour le climat, les écosystèmes et les sociétés humaines. Elles contribuent par exemple à la sécurité alimentaire, à la santé et au bien-être des populations, améliorent les moyens de subsistance, mais protègent aussi face aux températures extrêmes et stockent du carbone.

En parallèle, le GIEC soulève le risque de « maladaptation » lorsque des actions s’appliquent à certains domaines ou risques de façon isolée, ou lorsqu’elles se concentrent sur les gains à court-terme. Le rapport donne quelques exemples : le boisement de zones initialement découvertes, comme les prairies, les savanes ou les tourbières ; les cultures à grande échelle pour le déploiement des bioénergies et qui entraînent des conflits d’usage avec l’alimentation. Mal pensées, les solutions d’adaptation manquent leur objectif et engendrent en plus des dommages collatéraux. Les digues côtières, par exemple, oublient souvent le long-terme, alors qu’elles sont difficiles et coûteuses à modifier. Faute d’intégrer les spécificités locales et culturelles, la « maladaptation » affecte notamment les groupes marginalisés et vulnérables, accentuant les inégalités.

Pour éviter ce piège, le GIEC préconise une planification et une mise en place des actions d’adaptation sur le long-terme, une trajectoire flexible, une approche multi-sectorielle, multi-acteurs, et surtout inclusive. La fenêtre se resserre pour mettre en œuvre, généraliser et accélérer les efforts d’adaptation pour nos systèmes et écosystèmes. Toutes les parties prenantes doivent s’unir pour créer la toile de fond propice, avec :

  • une volonté et un engagement politiques fort à toutes les échelles, malgré les bénéfices de moyen et long-terme ;
  • des cadres et outils pour fixer des objectifs clairs, définir les responsabilités et massifier la mise en œuvre ;
  • un renforcement de l’information sur les risques, impacts, conséquences, et solutions d’adaptation ;
  • des financements publics et privés encore plus importants qu’estimés dans le dernier rapport d’évaluation en 2014 ;
  • un suivi et un pilotage renforcés ;
  • et une gouvernance, elle aussi, inclusive.

Les scientifiques nous pressent de tous et toutes coopérer pour faire advenir un modèle de développement durable, désirable, et tout simplement vivable, pour le plus grand nombre. La compétition entre atténuation, adaptation et développement doit cesser et laisser place à des actions globales. Le troisième volet de ce 6ème rapport, publié début avril, complètera l’attirail de solutions à notre disposition pour relever le défi unique de garder la Terre sous la barre des 1,5°C. La somme de nos choix sociétaux déterminera notre cheminement vers ce que le GIEC appelle un « climate resilient development » … ou vers le chaos.

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