Comment décarboner ?
#2 Adopter les réflexes de l’économie circulaire

Dans ce deuxième volet, GreenFlex montre en quoi les principes de l’économie circulaire sont un appui essentiel pour décarboner

A mesure qu’ils intègrent la neutralité carbone comme le combat environnemental phare des prochaines décennies, politiques, entreprises et société civile tendent à négliger les autres enjeux. Il faut corriger cette omission pour prévenir les dommages collatéraux, mais aussi assurer le succès des stratégies de décarbonation, car tout est lié.

Climat et économie circulaire, même combat ?

En quelques mois, le rapprochement entre biodiversité et climat s’est installé dans le débat public. Alors que l’urgence de décarboner notre économie s’impose, un rapport conjoint du GIEC et de l’IPBES (son équivalent sur la biodiversité) montrait cet été que les stratégies bas carbone qui oublient le vivant risquent l’échec, tant les deux sujets sont interdépendants. Leur analyse insistait sur la nécessité de traiter ces problématiques de concert, pour une action efficace. On peut en dire autant de l’économie circulaire.

Utilisation de capteurs pour suivre les consommations énergétiques des bâtiments, installation de panneaux photovoltaïques, remplacement d’équipement électroniques ou énergivores… si toutes ces solutions font partie de la panoplie pour décarboner, elles méritent qu’on s’arrête sur leur impact global, pour évaluer leur pertinence dans chaque situation de mise en œuvre. Qu’en est-il de l’extraction de matières dont les métaux rares, de la surconsommation de ressources, ou encore de la gestion des déchets en fin de vie ? Sans une vision d’ensemble, les actions de décarbonation peuvent créer un effet rebond, et contribuer indirectement à augmenter les émissions de gaz à effet de serre (GES), au lieu de les réduire.

En France, la gestion des déchets représente 4 % des émissions de GES. Ces dernières sont majoritairement dues à l’enfouissement des déchets, qui libère du méthane, un gaz 30 fois plus réchauffant que le CO2. Toutefois, l’impact carbone majeur vient d’ailleurs : une étude estime que 51 % des émissions de GES mondiales proviennent de l’extraction et de la production de nos matériaux, équipements et aliments. À l’inverse, développer l’économie circulaire pourrait diminuer cette empreinte de 39 %. En réduisant l’extraction de matières premières, on limite également la dégradation des écosystèmes, pourtant favorables au stockage du carbone dans les sols, et donc levier majeur pour lutter contre le réchauffement climatique.

Amoncellement de déchets dans une poubelle

Utiliser les piliers de l’économie circulaire pour mieux décarboner

Adopter les principes de l’économie circulaire¹ permet de renforcer l’efficacité des démarches bas carbone, en particulier pour agir sur le « scope 3 ».

Avant tout, il faut systématiser le réflexe de sobriété : réinterroger nos besoins et réduire nos consommations à la source. Pour décarboner le bâtiment, par exemple, il est temps de privilégier la rénovation au schéma classique de démolition et reconstruction. L’ADEME estime que la construction neuve consommerait 17 fois plus de ressources que la rénovation du parc existant en France. Or, moins de ressources consommées, c’est aussi moins de CO2 rejeté.

L’économie circulaire nous apprend ensuite à choisir nos ressources en fonction des impacts tout au long du cycle de vie des produits et services. Pour guider les choix d’approvisionnement et de conception, il faut prendre en compte de multiples critères sur toute la chaîne de valeur, respecter la hiérarchie de choix des matériaux, et par conséquent, celle du traitement des déchets : favoriser les équipements réparés et reconditionnés, les produits issus du réemploi et de la réutilisation, puis les matériaux recyclés, ou biosourcés et locaux. Une entreprise peut aussi privilégier l’usage à la possession, en ayant recours à des solutions issues de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération². Enfin, il convient d’anticiper la recyclabilité en fin de vie. Des outils comme les Analyses du Cycle de Vie (ACV) servent justement à évaluer l’ensemble des impacts environnementaux de produits ou bâtiments, et à guider leur écoconception. Dans certains cas, il sera par exemple préférable de recourir à des emballages réutilisables plutôt que biosourcés. La durée de vie de ces derniers est plus courte, et ils sont certes fabriqués à partir de ressources renouvelables, mais parfois importées de l’étranger.

Il est également essentiel de relier cette vision globale des impacts à une connaissance fine des spécificités et besoins locaux. Sur un territoire où les gisements de biodéchets et co-produits agricoles sont nombreux, il faudra évaluer la pertinence de la méthanisation, éventuellement couplée à du compostage pour renforcer le retour au sol de la matière organique sur des parcelles agricoles. Parfois, on favorisera une valorisation à plus haute valeur ajoutée : dons alimentaires, alimentation animale ou fabrication de matériaux de construction, en fonction des enjeux du territoire.

L’économie circulaire invite enfin à la mise en commun et à la création de synergies entre les acteurs privés et publics d’un territoire : échanges de flux (matières, énergie, eau…), mutualisation d’équipements (réseaux de chaleur, flotte électrique…) et de services (achats groupés d’énergie verte, mutualisation logistique, plans de déplacements interentreprises…). Une industrie peut récupérer et valoriser la chaleur issue de ses installations, puis injecter le surplus dans un réseau de chaleur pour alimenter en énergie d’autres acteurs du territoire (collectivités, entreprises…), quitte à mutualiser les infrastructures et coûts. Les entreprises participantes sont gagnantes, en optimisant leurs consommations d’énergie, et le développement de telles boucles énergétiques locales participe à l’autonomie et à la décarbonation du mix énergétique du territoire.

Adapter les trajectoires bas carbone

Les piliers de l’économie circulaire évoqués ci-dessus sont des guides pour adapter les feuilles de route bas carbone, que beaucoup d’entreprises et collectivités sont en train de définir. Cela participera à garantir leur succès, mais offrira aussi les nombreux co-bénéfices de ce modèle circulaire. Sans attendre, les acteurs économiques doivent élargir le périmètre du bilan carbone et réaliser un inventaire plus fin de tous les flux entrants et sortants, afin de calculer leur performance en matière d’économie circulaire. À cette condition, ils auront une image plus fidèle de leurs enjeux, pourront mieux prioriser les actions de décarbonation et s’assurer de leur efficacité.

La taxonomie verte européenne, petite révolution financière dont les contours sont toujours en cours de définition, classifiera bientôt les activités vertes de notre économie. Pour ce faire, la Commission Européenne a défini six objectifs environnementaux, dont l’atténuation du réchauffement climatique et l’économie circulaire. Pour qu’une activité soit considérée comme durable, il faudra notamment qu’elle contribue à un de ces objectifs, sans porter préjudice aux autres. Ainsi, on ne pourra plus échapper à sa responsabilité de meilleure utilisation des ressources.

Anticipons ce qui sera bientôt une obligation : dès maintenant, relions le climat aux autres enjeux pour définir des trajectoires bas carbone efficaces et ambitieuses.

 

1 Économie circulaire – ADEME

2 Économie de la fonctionnalité – ADEME