Entreprises : l’enjeu de la taxonomie verte en 5 points

Adoptée dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, la taxonomie européenne est entrée en vigueur progressivement depuis janvier 2022, suscitant de vifs débats. La proposition de directive Omnibus, publiée le 26 février 2025, vise à une simplification de plusieurs réglementations, dont la taxonomie verte.  Vraisemblablement votée fin 2025, elle remet en cause plusieurs critères clés. GreenFlex vous explique les enjeux de cette réglementation… et de ses évolutions.

1. La taxonomie verte européenne, c’est quoi ?

La taxonomie verte européenne¹ est une classification des activités économiques considérées comme durables. Elle vise à offrir un langage commun pour définir quelle part de l’économie est « vraiment » verte.

Pour ce faire, la Commission européenne a fixé six objectifs environnementaux :

  • l’atténuation du changement climatique ;
  • l’adaptation au changement climatique ;
  • l’utilisation durable et la protection des ressources en eau et des ressources marines ;
  • la transition vers une économie circulaire ;
  • le contrôle et la prévention de la pollution ;
  • la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

Schéma des 6 objectifs environnementaux de la taxonomie verte

Une activité économique est alignée avec la taxonomie lorsqu’elle répond aux quatre conditions suivantes :

  • Contribuer substantiellement à un ou plusieurs de ces objectifs environnementaux
  • Ne pas causer de préjudice significatif aux autres objectifs sur l’ensemble du cycle de vie des produits et services de l’activité (principe du « Do no significant harm ») ;
  • Respecter les normes minimales en matière sociale et de gouvernance (Droits de l’Homme, conventions de l’Organisation internationale du Travail, etc.) ;
  • Être conforme aux critères d’examen techniques établis dans les actes délégués et qui permettent de mesurer la contribution aux objectifs ou le degré de nuisance (seuils, pratiques utilisées, normes à respecter, etc.).

2. Ce qu’implique cette taxonomie pour les entreprises

La taxonomie verte concerne trois types d’acteurs :

  • Les entreprises corporate : elles doivent indiquer la part de leur chiffre d’affaires, ainsi que celles de leurs investissements et de leurs dépenses d’exploitation, qui correspondent à des activités durables telles que définies dans la taxonomie verte européenne. Cette réglementation concerne les entreprises de plus de 500 salariés, déjà sujettes à l’obligation de reporting extra-financier (voir la 6ème partie sur la proposition de directive « Omnibus » et les évolutions des seuils et exigences à venir).
  • Les acteurs des marchés financiers : les gestionnaires d’actifs, établissements bancaires, compagnies d’assurance et investisseurs institutionnels (comme les banques centrales) doivent également évaluer la part d’investissements verts dans leurs portefeuilles d’actifs, et préciser à leurs clients l’alignement ou non de leurs produits financiers sur la taxonomie verte (voir la 6ème partie sur la proposition de directive « Omnibus » et les évolutions des seuils et exigences à venir).
  • L’Union Européenne et les États membres : ils se servent de la taxonomie pour établir des mesures publiques, des normes ou des labels relatifs aux produits financiers verts ou aux obligations vertes.

À ce titre, la taxonomie verte européenne est une petite révolution pour lutter contre le greenwashing. La taxonomie offre des bases objectives sur lesquelles comparer les démarches de développement durable, invitant les acteurs économiques à être à la hauteur de leurs responsabilités². L’objectif est de rendre l’engagement environnemental mesurable et vérifiable, afin de rendre difficile le fait de s’autoproclamer « responsable ».

La taxonomie verte traduit la volonté de la Commission européenne de développer la finance durable, afin de réorienter massivement les investissements vers les activités considérées comme vertes.

Rediriger les flux financiers doit accélérer la transition vers une économie plus durable. Cette nouvelle réglementation concourt donc à l’objectif de neutralité carbone en 2050, défini dans le Pacte vert européen conformément à l’Accord de Paris sur le climat. Le paquet « Fit for 55« , dévoilé en juillet 2021, complète l’attirail des actions proposées pour transformer tous les secteurs et réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’Union Européenne de 55 % dès 2030.

3. Pourquoi la taxonomie suscite-t-elle beaucoup de débats ?

Les débats sont animés pour décider quelles activités doivent être considérées comme vertes. Trois niveaux sont proposés pour établir cette classification :

  • Les activités contribuant elles-mêmes substantiellement à la transition environnementale (par exemple, dans le cas de l’atténuation du changement climatique : un parc d’énergie solaire) ;
  • Les activités dites « habilitantes » : ce sont les activités qui permettent directement à d’autres activités d’apporter une contribution substantielle à l’un des six objectifs environnementaux (par exemple : la production de fibre de carbone pour des pales d’éoliennes) ;
  • Les activités dites « transitoires » : il s’agit des activités qui permettent de réduire l’impact environnemental dans des secteurs pour lesquels il n’existe pas encore de solution de remplacement sobre et/ou réalisable techniquement et économiquement (par exemple : une démarche d’efficacité énergétique industrielle).

Définir les critères de la taxonomie revient à choisir les modèles que suivront les différents secteurs pour réaliser leur transition vers une autre économie. Au printemps 2021, la Commission européenne a publié l’acte délégué pour les deux objectifs environnementaux liés au réchauffement climatique³. 70 activités y figurent, considérées comme durables à condition de respecter les critères d’examen techniques. L’agriculture n’a pas été prise en compte dans cette version, dans l’attente des décisions de la PAC. Concernant l’énergie, le gaz et le nucléaire, sujets à de nombreuses controverses, ont été inclus en juillet 2022 sous certaines conditions. La foresterie et la bioénergie figurent quant à elles dans les activités contribuant à ces deux objectifs environnementaux, et les critères techniques associés font l’objet de vives critiques.

La Commission européenne prévoit une évolution des critères, capable de s’adapter aux changements économiques et technologiques au fil des années. Des réflexions émergent déjà pour étendre la classification. Certains envisagent une taxonomie verte/orange/rouge, qui pointerait aussi les activités carrément nuisibles à l’environnement, et celles qui ont un impact négligeable et produisent moins d’émissions de gaz à effet de serre (par exemple, des activités de services comme les avocats ou coiffeurs). D’autres ont déjà amorcé les travaux autour d’une taxonomie sociale.

4. Comment mettre en œuvre la taxonomie verte européenne ?

L’application de la taxonomie verte européenne se déploie progressivement. Depuis janvier 2022, les entreprises et acteurs financiers doivent se conformer aux critères définis pour les deux premiers objectifs environnementaux liés au climat. En 2023, les critères couvrant les quatre autres objectifs environnementaux (eau, pollution, biodiversité, économie circulaire) ont été finalisés et entreront en vigueur progressivement  en 2025.

Pour faciliter cette mise en œuvre, l’Union européenne a mis en place des guides techniques et des obligations de reporting extra-financier renforcées. Depuis janvier 2024, les grandes entreprises soumises à la directive sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD) doivent déclarer la part de leurs activités alignée avec la taxonomie.

L’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) a également renforcé la surveillance des fonds d’investissement verts, imposant une plus grande transparence sur l’alignement des actifs avec la taxonomie.

La taxonomie verte européenne promet des avancées pour la transition de notre économie. Les travaux pour construire cette classification révèlent la complexité et les nuances indispensables à cette tâche ambitieuse.

Pour réussir à s’en saisir, l’appropriation de la taxonomie nécessite une anticipation stratégique. Plus qu’une simple obligation réglementaire, son intégration représente une opportunité pour structurer la transformation durable des entreprises, par exemple à travers une stratégie RSE, et faciliter l’accès à des financements attractifs.

Calendrier de l'entrée en vigueur de la taxonomie verte

5. Quels changements à la suite de la publication de la proposition de directive « Omnibus » ?

En février 2025, la Commission européenne a publié la proposition de directive « Omnibus », visant à simplifier et alléger certaines réglementations environnementales et de durabilité. Concernant la taxonomie européenne, cette proposition restreint le champ d’application et simplifie fortement les informations à publier :

  • Les seuils d’applicabilité de la taxonomie seraient réduits : seules les entreprises de plus de 1 000 salariés et plus de 450 millions de chiffre d’affaires seraient concernées. Le cadre deviendrait volontaire pour les entreprises de plus de 1 000 salariés et moins de 450 millions de chiffre d’affaires, dont les exigences de reporting sont allégées. Ainsi, seuls les indicateurs de chiffre d’affaires et de CapEx seraient requis, au lieu des 3 indicateurs requis à l’origine (chiffre d’affaires aligné / chiffre d’affaires total, CapEx aligné / CapEx total, OpEx aligné / OpEx total).
  • Les entreprises concernées pourraient ne pas reporter sur :
    • les activités représentant moins de 10 % du chiffres d’affaires de l’activité totale de l’entreprise
    • les dépenses d’exploitation représentant moins de 25 % de l’activité totale
  • Les entreprises concernées pourraient déclarer un alignement partiel sur la taxonomie si l’ensemble des conditions déterminant l’alignement à la taxonomie ne sont pas remplis.
  • Les informations à publier seraient fortement simplifiées. Les points de données à reporter devraient être réduits :
    • de 70 % pour les entreprises
    • de 90 % pour les institutions financières
  • Les critères à respecter en lien avec le “Do no Significant harm” (DNSH) concernant les pollutions chimiques devraient être fortement réduits.
  • Les tableaux réglementaires de reporting publiés par les entreprises se verraient simplifiés, en réduisant les informations à publier.

Ces propositions sont encore en discussion et doivent obtenir l’approbation du Parlement et du Conseil européens, avant d’être appliquées d’ici 2026-2027.

1 Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088 – Parlement Européen
2 Environnement : « Il est temps de démontrer que l’engagement financier d’une entreprise est à la hauteur de ses responsabilités » – Le Monde
3 Taxonomie verte : ce qui est climato-compatible et ce qui ne l’est pas – Actu Environnement
4 La Plateforme européenne sur la finance durable plaide pour une taxonomie étendue vert-orange-rouge – AEF Info
Faisons de la taxonomie un outil pour transformer les entreprises et notre économie – Environnement-Magazine