Yakafokon : « Il faut rendre nos villes autosuffisantes »

La ville autosuffisante promet plus d’autonomie énergétique, alimentaire, en ressources. L’autarcie urbaine est-elle toutefois possible, et surtout souhaitable ? Réfléchir à l’échelle des territoires pourrait apporter bien plus de bénéfices

 

par Marc-Elian Duffrene, Chef de Projet

Des défis énergétiques, environnementaux et sociaux

Indépendance alimentaire et énergétique, recyclage des matériaux de construction, lutte contre l’artificialisation des sols… La ville autosuffisante serait-elle la réponse magique pour les collectivités et aménageurs en quête d’espaces urbains moins émetteurs, plus sobres, et respectueux des limites planétaires ? Alors que le nombre de citadins devrait doubler d’ici 2050, il est urgent que nos villes évoluent. Question d’atténuation et d’adaptation au réchauffement climatique, de bien-être des populations, ou encore de souveraineté. La pandémie de Covid-19 et ses confinements successifs ont en effet posé l’enjeu d’une plus grande autonomie alimentaire et productive. La guerre en Ukraine aggrave quant à elle la crise énergétique et l’envolée des prix des matières premières depuis plusieurs mois. Le jour du dépassement est survenu le 28 juillet en 2022, confirmant que l’humanité consomme toujours plus vite les ressources que les écosystèmes peuvent générer en une année.

4 personnes travaillant près de plantes potagères avec imeubles en arrière-plan

À l’inverse, ville, quartier et bâtiment autosuffisants proposent d’utiliser leurs ressources et espaces inexploités, pour gagner en indépendance. Côté alimentation, les projets d’agriculture urbaine se multiplient. À Château-Thierry, Jungle a créé la plus grande ferme verticale de France. Chacune de ses tours peut produire 400 000 salades, herbes aromatiques et jeunes pousses par an, tandis que le projet Vision Greens alimente la ville canadienne de Welland en laitues, roquette et basilic cultivés localement.

Pour les matériaux et l’énergie, l’autosuffisance suppose de réduire les besoins, réemployer, recycler et partager. La mutualisation des biens, la réutilisation des éléments issus de la déconstruction, et la multifonctionnalité des bâtiments devraient devenir la norme. Le cloisonnement actuel des logements, bureaux et commerces au sein d’un même quartier laisse notamment de nombreux espaces vacants, génère des surconsommations de matériaux, et d’énergie. Grâce à une plus grande mixité fonctionnelle, et à la création de synergies énergétiques, des transferts pourraient s’opérer entre les bâtiments. Des logements pourraient par exemple profiter de la chaleur récupérée du métro, contribuant à l’exigence grandissante de sobriété énergétique.

Ni possible, ni souhaitable ?

Néanmoins, le modèle de ville autosuffisante atteint ses limites en visant l’autarcie. D’abord, les volumes énergétiques et alimentaires nécessaires pour soutenir les besoins d’une métropole excèdent de loin les capacités de ces surfaces urbaines à les produire. D’après nos calculs, si tous les espaces verts de la métropole de Lyon s’ajoutaient aux terres agricoles existantes pour produire l’alimentation, seuls 8 % environ des besoins de la population seraient satisfaits. De même, la production de tous les matériaux en propre serait impossible.

Ensuite, cette autosubsistance n’est pas même souhaitable. Avec une démographie croissante, les villes devront se densifier pour éviter l’étalement urbain et l’artificialisation des sols. Comment intégrer les dimensions de confort et d’acceptabilité des habitants, s’il faut en plus consacrer des espaces à la production d’énergie et de nourriture ? Les cultures possibles en milieu urbain sont aussi peu diversifiées, et nécessiteraient d’importants changements de régime alimentaire.

Enfin, laisser les villes se refermer sur elles-mêmes pénaliserait les zones rurales, car l’économie de ces dernières en dépend fortement. Beaucoup de territoires ruraux cherchent à définir des stratégies de développement capables de renforcer leur attractivité et de lutter contre le déclin démographique. En parallèle, ils sont pourvoyeurs d’un certain nombre de ressources consommées par les métropoles : matériaux issus du sous-sol, bois issu des forêts, denrées alimentaires des terres agricoles… L’autosuffisance théorique des villes affecterait donc grandement leur économie, accentuant les déséquilibres sociaux entre ces espaces.

Vue aérienne de champs à côté de maisons

Autonomie des territoires : une meilleure échelle

Plutôt qu’une ville autarcique, la question se pose de revenir à une consommation des ressources plus raisonnée, une production plus locale, et des interconnexions renforcées au sein et entre les territoires. Si l’on considère un périmètre de 50 km au-delà des limites administratives de la métropole de Lyon, 93 % des besoins alimentaires* de la population pourraient être satisfaits. Ainsi, changer d’échelle et envisager des synergies plus fortes entre les villes et leurs périphéries serait la clé pour répondre aux besoins des habitants, tout en redynamisant les zones rurales et leurs centre-bourgs, qui souffrent aujourd’hui d’un déclin d’activité.

Les collectivités pourraient développer des bases de données capables de recenser les ressources disponibles à l’échelle du territoire régional : terres arables et matériaux disponibles, espaces et massifs forestiers, etc. De leur côté, les aménageurs pourraient accroître la prise en compte des problématiques agricoles et des terres environnantes dans les plans d’urbanisation et de construction de nouveaux logements. Ce serait l’opportunité de resserrer les liens entre urbain et rural. L’opportunité aussi de relever les défis de la sobriété énergétique et du développement des énergies renouvelables, de la circularité des matériaux, d’une production alimentaire plus locale et saine, de villes plus végétalisées et respirables. Passons du fantasme de la ville autosuffisante au territoire autonome.

* L’agriculture locale pourrait nourrir la population et pourtant on en est loin – Ouest France