La régénération, au secours de l’industrie agroalimentaire ?

Depuis plusieurs mois, GreenFlex a entamé une exploration de l’économie régénérative appliquée à plusieurs secteurs. Cette dernière propose notamment des pistes prometteuses, crédibles et concrètes pour renouveler le standard de l’industrie agroalimentaire

La régénération dans l'agroalimentaire

« Agriculture régénérative » : nouvelle mode des industriels ?

Un rapide tour de l’actualité suffit à constater que l’industrie agroalimentaire arrive à un tournant. Des suites de la crise du Covid-19 ou des aléas climatiques, le prix des matières premières s’envole et les chaînes d’approvisionnement se fragilisent. La loi Egalim 2 vient d’être adoptée,¹ pour permettre aux agriculteurs de mieux vivre de leur métier. Une nouvelle salve de lauréats a été annoncée dans le cadre du plan France Relance, afin de relocaliser et renforcer les filières² agricoles et agroalimentaires durables sur nos territoires. Enfin, les alertes sont régulières sur le nombre foisonnant de labels, parmi lesquels le consommateur se perd, ainsi que l’insuffisance de moyens pour les contrôler.

A l’aune de ces pressions, les acteurs du secteur doivent se réinventer. Entre autres, ils sont de plus en plus nombreux à parler de « régénération », et en particulier « d’agriculture régénérative ». Comme tout concept encore émergent et ne faisant pas l’objet d’une standardisation, certains observateurs l’accueillent avec scepticisme. Il est vrai que la façon dont la régénération envahit les annonces des grandes entreprises, mais aussi les événements, salons et la communication plus générale du monde « durable », floute son périmètre et son éventuelle définition.

Pourtant, son origine est concrète et précise : l’agriculture régénérative vise d’abord à rétablir la santé des sols. Leur appauvrissement inquiète depuis les années 2000, car c’est une menace pour notre sécurité alimentaire, ainsi que pour les nombreux services environnementaux qu’ils nous rendent (stockage carbone, maintien des terrains, régulation hydrologique etc.). Stricto sensu, l’agriculture régénérative propose donc une évolution des pratiques culturales pour remédier à cette dégradation. Par extension, elle doit contribuer à améliorer les conditions de vie des agriculteurs, restaurer la biodiversité, ou encore redynamiser les territoires agricoles.

Réparer, au-delà de l’agriculture

Bien sûr, les industriels agroalimentaires sont tout désignés pour soutenir l’agriculture régénérative en amont de leurs activités. Nataïs accompagne par exemple ses producteurs de maïs pour cultiver des légumineuses entre les rangs de céréales, ce qui augmente le stockage du CO2 dans les sols, et prévient leur érosion. Le leader européen du popcorn rémunère ses agriculteurs pour ces évolutions de leurs pratiques, à l’aide d’une prime carbone. Toutefois, le secteur agroalimentaire peut devenir régénératif bien au-delà de l’amont. Sur l’ensemble de la chaîne de valeur alimentaire, l’impératif est de dépasser le prérequis d’éviter de nuire, et d’aller jusqu’à « réparer », créer de la valeur économique, mais aussi environnementale, sociale et sociétale, tout autour de son activité.

A l’instar de nos habitations, qui deviennent « à énergie positive », les entreprises agroalimentaires pourraient restituer davantage qu’elles ne prélèvent dans nos écosystèmes. Qu’il s’agisse d’énergie, d’eau, de matières premières… la sobriété à chaque maillon est de mise. Puis, il faut chercher à réutiliser, revaloriser, renouveler, produire soi-même, ou encore mutualiser ces ressources et déchets avec ses voisins. La coopérative céréalière Scara a ainsi créé avec ses partenaires une unité de méthanisation sur une friche industrielle. Cette dernière utilise les déchets organiques locaux, issus notamment de la production agroalimentaire, et les traite pour produire un amendement naturel et du biogaz, à destination des exploitations environnantes.

Régénérer implique de se replacer au cœur d’un territoire, de coopérer avec ses différents acteurs, de créer des circuits courts pour tous les flux, et de chercher à améliorer la vie locale, afin de mieux tenir compte des interdépendances entre les Hommes, le vivant et les activités économiques. Depuis plusieurs années, France Boissons soutient la reprise ou la rénovation de cafés, dans des villes et villages français dont les centres s’éteignent. De son côté, Ÿnsect vient d’ouvrir la première école des métiers de l’insecte, dans la Somme. L’entreprise participe de ce fait à raviver l’attractivité du secteur agroalimentaire, en mal de vocations.

Enfin, il est temps de régénérer le modèle alimentaire plus globalement, de réimplanter les filières de production sur nos territoires, de rapprocher plus systématiquement les lieux d’approvisionnement, de transformation et de consommation. Au carrefour de l’amont et de la distribution, les industriels bénéficient aussi d’une place de choix pour « réparer » l’offre alimentaire. Bientôt, pourra-t-on ne proposer que des produits sains, équitables, durables et abordables pour tous ? En plus de concevoir des produits d’épicerie qui répondent à tous ces critères, Omie & Cie prône une transparence totale et explique aux consommateurs la répartition du prix au centime près, le détail de la provenance et de la fabrication de chaque référence, ainsi que les choix de conception. Quant à Hari&Co, le spécialiste des alternatives à la viande participe à la relocalisation des légumineuses bio en France, en soutenant un projet pilote dans la Drôme, lieu d’implantation d’une de ses usines.

Faire évoluer le standard de l’industrie agroalimentaire

Loin d’un concept abstrait et fourre-tout, l’industrie agroalimentaire régénérative est déjà en route. Des éclaireurs testent des modèles différents et prennent de l’avance. Ils témoignent des nombreux bénéfices de ces nouvelles façons de faire : sécurisation des approvisionnements, pérennité des relations avec les fournisseurs et les (futurs) employés, dynamisme économique et social dans les territoires, réponse aux attentes de plus en plus puissantes et incontournables de la société civile, anticipation des réglementations…

Bien qu’à ses prémices, l’économie régénérative esquisse un modèle prometteur et crédible pour renouveler le secteur agroalimentaire (parmi d’autres) et remédier aux écarts du passé. Persuadé que son déploiement passera par l’itération et le collectif, GreenFlex a entamé l’exploration de ces pistes depuis quelques mois et souhaite partager des idées concrètes, à partir de ce qui se fait déjà. Ce travail mérite précisément d’être enrichi au fil des expériences de chacun.

L’industrie agroalimentaire régénérative doit devenir le prochain standard, et non un nouvel argument marketing de niche. Espérons donc que, progressivement, les précurseurs entraîneront tous les acteurs de la chaîne, en particulier les plus gros, capables de faire évoluer le modèle.

1 Loi EgAlim 2 :  bientôt dans tous les rayons – Plein champ

2 France Relance : 39 nouveaux projets de structuration des filières agricoles et agroalimentaires – Process Alimentaire