Écologie industrielle et territoriale : par où commencer ?

La mise en commun de ressources par plusieurs acteurs d’un territoire s’inscrit dans une logique d’économie circulaire, visant à réduire la production et la consommation de biens et services. Quels sont les bénéfices des démarches de symbiose industrielle ? Et comment se lancer ?

Qu’est-ce que l’écologie industrielle et territoriale ?

L’écologie industrielle et territoriale (ou EIT) est un des piliers de l’économie circulaire. Il s’agit d’optimiser la gestion des ressources et des flux sur un territoire, en s’inspirant des écosystèmes naturels, par la mise en place d’actions partagées sur un territoire donné (zone d’activités, quartier, ville).

Cette démarche améliore la coopération entre acteurs industriels, agricoles ou tertiaires qui n’ont pas l’habitude de collaborer.

Quelles actions peuvent être mises en œuvre ?

Les actions d’EIT consistent en la mutualisation de zones de stockage, d’outils, de formations ou de services, tels que les ressources humaines.

Les échanges de flux, ou synergies de substitution, sont aussi améliorés : les déchets et ressources non utilisées des uns deviennent les matières premières des autres (ex.: chaleur fatale).

Table ronde Produrable sur l'écologie industrielle et territoriale

L’écologie industrielle et territoriale pour décarboner

Le gouvernement français a présenté aux chefs des partis politiques sa feuille de route de la planification écologique, pour débattre des solutions à déployer pour une transition écologique. Le plan s’inscrit dans le cadre de la directive européenne Fit for 55, visant à réduire les émissions de CO de 55 % à horizon 2030. Logement, mobilité, chaudières sont mis à l’ordre du jour et tous les secteurs et acteurs seront concernés : collectivités, entreprises, citoyens. Planifier est indispensable mais le passage à l’action ne doit pas attendre la fin des débats autour de ce projet.

De multiples leviers permettront à tous ces acteurs de répondre aux objectifs fixés par la France. Les projets concrets d’écologie industrielle sont des piliers de l’économie circulaire et transforment les entreprises et les collectivités, car ils ont des effets sur leurs émissions de CO₂, mais aussi sur la préservation de la biodiversité, qui renforce les puits de carbone.

Lors de la dernière édition de Produrable, Thibault Perraillon, directeur conseil GreenFlex, a participé à la table ronde sur l’écologie industrielle et territoriale (EIT). Il a échangé avec les autres intervenants sur les leviers et les étapes pour le déploiement des démarches de symbiose industrielle.

Les leviers de motivation pour l’émergence d’un projet d’écologie industrielle et territoriale (EIT)

Le déploiement d’un projet d’EIT répond à une ou plusieurs motivations, émanant d’entreprises, d’acteurs publics ou d’institutionnels.

  • Les leviers réglementaires

Les vecteurs de motivation peuvent être divers, tel que le cadre réglementaire. La Métropole de Perpignan, par exemple, a initié sa démarche suite à la proposition par l’ADEME de contrats d’objectifs territoriaux. L’Agence de la Transition Ecologique fixe aux territoires des objectifs, à travers ces contrats. Pour les atteindre, les territoires doivent répondre à un référentiel, incluant l’écologie circulaire et la symbiose industrielle.

  • Les leviers d’image

Le levier de notoriété publique peut être à la racine d’un projet d’EIT. Un industriel majeur d’un territoire, fortement consommateur de gaz ou producteur d’un certain volume de déchets pouvant être valorisés, a tout intérêt à se lancer. Il sera plus compétitif, plus attractif et bénéficiera de retombées positives concernant son image.

Vue aérienne de champs et de bâtiments

Les étapes pour réaliser un projet d’EIT

Toute démarche d’écologie industrielle s’appuie sur 3 étapes principales, qui sont autant de clés de succès. 

1. Le diagnostic pour identifier les gisements structurants

La première étape est la réalisation d’un diagnostic territorial pour identifier les flux de matières, les ressources, les déchets du territoire. Mais aussi pour connaître les acteurs économiques et la durée de leur intégration sur les territoires. Celle-ci est déterminante dans leur investissement dans le projet. Cette étude met en valeur les synergies déjà existantes et ainsi les entreprises pionnières, prêtes à se lancer.

Le diagnostic assure l’identification des acteurs les plus pertinents, à un niveau national ou local, tant dans le privé que dans le public, ainsi que parmi les citoyens. La connaissance du territoire, grâce à des structures appropriées, est donc primordial.

De cet audit émergent les ressources des territoires, ainsi que les besoins des acteurs économiques qui y sont présents, afin de connecter ces deux volets.

Le territoire agricole de la plaine de l’Ain possède par exemple un des plus grands parcs industriels de France. Ce parc n’a pas créé au départ de synergie avec sa filière agricole alors que celle-ci cultive du miscanthus, utilisé en isolant de bâtiment.

L’enjeu de l’accompagnement, réalisé par GreenFlex, sur ce territoire a été de mettre en place une démarche d’écologie industrielle et territoriale en permettant que la ressource miscanthus soit réinvestie en isolation des bâtiments de la zone d’activité. Et parallèlement, les projets de méthanisation ou d’agrivoltaïsme déjà en place ne visaient par les acteurs économiques de la zone ; GreenFlex a aidé à les déployer à davantage d’entreprises, afin de mutualiser ces ressources en énergie.

2. Recruter et convaincre les participants : quels bénéfices des projets d’EIT ?

L’identification des parties prenantes doit aboutir sur la confirmation de leur disponibilité au quotidien. Un projet d’EIT demande un investissement financier, mais également un investissement en temps. Afin de convaincre les territoires ou les entreprises de participer à un projet, la clé est de mettre en exergue les bénéfices apportés.

Par exemple, un acteur du retail doit répondre aux exigences du décret BACS, de la loi d’accélération des ENR, de la loi AGEC et de la crise des matériaux. Les réglementations représentent des contraintes s’exerçant sur son métier. Un projet d’EIT peut répondre à l’ensemble de ces problématiques et s’intégrer à la stratégie globale de l’entreprise.

Par ailleurs, les projets de symbiose industrielle transportent les acteurs du territoire d’une logique de compétition à une logique de coopération. L’écosystème territorial sur lequel les entreprises sont implantées est fréquemment considéré comme secondaire, surtout dans les zones industrielles les plus conséquentes. Pourtant, l’écologie industrielle et territoriale répond à des besoins partagés par divers entrepreneurs et collectivités, même concurrents.

Deux gérants d’hypermarchés, distants de quelques kilomètres, peuvent vouloir produire et partager de l’énergie pour gagner en résilience et en compétitivité, ensemble. Toutefois, la compétition peut toujours avoir lieu sur des questions de prix des produits en rayon.

La résilience des territoires est un avantage corrélé aux projets d’EIT. La crise sanitaire de 2020-2021 a été un choc pour les entreprises. Nombre des flux dont elles dépendaient ont été bloqués, menaçant leur activité. Reprendre la main sur l’échelle locale, à travers des mutualisations, améliore la résilience des acteurs publics et privés.

Vue aérienne d'une usine de traitement d'eau

Enfin, les bénéfices environnementaux se couplent aux avantages économiques des projets d’écologie industrielle territoriale. Le développement d’un tissu territorial a longtemps consisté à l’attribution de lots dans lesquels des entreprises s’insèrent et où chacune développe ses propres besoins (restauration, outils de production, protocoles et infrastructures de sécurité incendie, prestataires pour la gestion des espaces verts, etc.). Cette structure de coûts fait de la mutualisation une véritable aubaine, d’un point de vue économique comme d’un point de vue environnemental. En améliorant la gestion des ressources, on agit sur la préservation du vivant, le climat par la baisse des émissions de CO₂ et la préservation des matériaux. De plus, dans un contexte de rationalisation des coûts incombant aux territoires, les coûts mutualisés sont un levier de la réussite des projets d’EIT.

Un autre exemple de liens entre bénéfices économiques et environnementaux concerne la mutualisation des usages de l’énergie, avec les boucles énergétiques locales. Alors que les coûts de l’énergie explosent, cette réponse est particulièrement adaptée. En tant que projet de symbiose industrielle, ces boucles assurent une décentralisation de la production d’énergie et une décarbonation du territoire.

La symbiose industrielle fait naître de nouvelles filières et des services, valorisant les ressources locales et pouvant également créer de l’emploi, compatible avec les défis environnementaux et sociétaux.

Thibault Perraillon, Directeur Conseil GreenFlex

« 

Quand on commence à regarder cette structure de coût, d’un point de vue euro comme d’un point de vue facteurs environnementaux, on se rend compte que la logique de mutualisation trouve tout de suite des premiers leviers.

3. L’animation de l’écosystème pour créer ou soutenir les projets d’EIT

Pour faire vivre un projet au long cours, l’adhésion des parties prenantes passe nécessairement par la confirmation de sa pertinence et des gains prévus. La réponse rapide à des enjeux modestes, en début de démarche, génère l’engagement. Le diagnostic aura déjà fait émerger des problématiques auxquelles les acteurs du territoire font face, c’est sur celles-ci qu’il faut agir en priorité.

Les enjeux peuvent être variés tels que l’absence de crèches mutualisées pour les parents qui travaillent sur le territoire ou l’absence de restauration adaptée. Ces enjeux ne sont a priori pas en lien avec des enjeux de biodiversité ou de décarbonation. Il s’agit de besoins de fonctionnalités et d’usages sur le territoire, utiles pour changer de trajectoire.

Une première action sur la création d’une cantine inter-entreprises fera émerger une opportunité de développement de projets d’alimentation résiliente, grâce au travail avec des opérateurs locaux. Ces opportunités, partant des besoins des entreprises en termes de restauration, bénéficieront à l’ensemble du tissu local.

Comment lancer sa démarche d’EIT ?

Pour réaliser l’ensemble des étapes listées ci-dessus, des outils existent, proposés par des acteurs experts.
  • Orée, association et réseau d’acteurs territoriaux, publie des travaux et anime l’écosystème francilien.
  • Synapse, le réseau national de l’écologie industrielle et territoriale fait référence en offrant un espace de coopération entre acteurs ainsi que des outils et méthodologies de mise en œuvre.
  • Elipse, le référentiel d’évaluation des performances des démarches d’écologie industrielle et territoriale, répond aux besoins des acteurs déployant un projet. Elle les aide à mesurer les avancées de la démarche à l’échelle d’un territoire tout en proposant des bonnes pratiques.

De manière globale, le recours à un tiers vise à cultiver les rapprochements entre intérêts des entreprises et intérêts de la puissance publique et institutionnelle. Une entreprise telle que GreenFlex assure une bonne compréhension entre les différents acteurs, tout en intégrant les enjeux techniques et financiers des entreprises et territoires.

L’initialisation des démarches d’écologie industrielle et territoriale s’inscrit plus globalement dans le nécessaire changement de trajectoire des entreprises et collectivités. L’EIT ce n’est pas une fin en soi, c’est une des étapes vers un cycle plus global qui est celui de l’économie circulaire, lui-même un des leviers de transformation des entreprises.