Décret tertiaire : pourquoi les directions générales et financières doivent s’en saisir

L’efficacité énergétique prend un tournant

Initialement prévue fin septembre 2021, la première échéance du décret tertiaire est décalée d’un an. Cela laisse une seconde chance aux directions générales et financières de se saisir d’une opportunité stratégique peu identifiée jusque-là.

Supermarchés, bureaux, centre-commerciaux, entrepôts, zones de restauration… le décret tertiaire, ou « dispositif Eco-énergie tertiaire », instaure l’obligation de diminuer les consommations énergétiques de ces bâtiments sur les trois prochaines décennies. Alors que le secteur immobilier est le plus consommateur d’énergie et le deuxième plus émetteur de gaz à effet de serre, cette réglementation sert l’objectif national de neutralité carbone fixé à l’horizon 2050. Toutes les surfaces à usage tertiaire supérieures à 1 000 m2 devront ainsi réduire leurs consommations énergétiques respectivement de 40 %, 50 % et 60 % d’ici 2030, 2040 et 2050. Derrière cette contrainte juridique et technique, se cachent des enjeux stratégiques et financiers majeurs, à anticiper.

L’efficacité énergétique change en fait de paradigme avec le décret tertiaire. Auparavant, des réglages et modifications simples sur l’existant permettaient d’atteindre les 5 à 10 % d’économies d’énergie souhaitées par les directions. Il suffisait de remplacer des ampoules, optimiser les usages, etc. L’ambition du dispositif Eco-énergie tertiaire impose, quant à elle, des changements d’équipements et des travaux de rénovation majeurs, donc un effort financier conséquent. Cette obligation de rénover est une innovation en matière de politique publique. Face à l’urgence de décarboner notre économie, elle pourrait s’étendre à d’autres segments de marché, comme les logements, ou ailleurs en Europe. Charge aux dirigeants de maximiser la création de valeurs à partir de ce nouveau cap.

Maximiser la création de valeurs à partir du décret tertiaire

S’engager dans une démarche d’efficacité énergétique permet de gagner en performance. Diminuer les consommations d’énergie réduit naturellement les factures. S’aligner avec le décret tertiaire est aussi l’occasion d’obtenir une vision globale de l’état de ses bâtiments, de leurs consommations et émissions de CO2, offrant donc un meilleur pilotage.

Le décret tertiaire incite également à moderniser son parc immobilier. Température, éclairage, équipements bas carbone et autoconsommation énergétique améliorent le confort des occupants et assurent une meilleure compétitivité. Demain, ce seront sans doute des prérequis pour les nouveaux concepts de magasins et bureaux. Cette obligation de performance énergétique et environnementale pousse à accroître la « valeur verte » de son patrimoine. Le marché la récompensera de plus en plus, tandis que les bâtiments à la traîne verront leur taux d’inoccupation grimper, et leur valeur chuter.

Faible amende et principe de « name dans shame » : les sanctions prévues en cas de non-conformité avec le décret tertiaire peuvent sembler minimes. Les risques réputationnels ne le sont pas. L’attractivité des entreprises auprès des clients, employés, futures recrues et partenaires repose sur de nouveaux critères. Ne pas agir pour l’environnement et le climat devient le plus hasardeux et coûteux. A l’inverse, améliorer la performance énergétique de ses bâtiments fait parte des témoins concrets d’un engagement RSE, et peut cultiver la préférence des parties prenantes.

Investisseurs et société civile scrutent eux aussi les performances extra-financières des entreprises avec une attention croissante. Finance verte et reporting ESG montent en puissance, et la taxonomie verte européenne s’annonce comme la prochaine petite révolution. Impulsée par la Commission Européenne, elle vise à proposer un langage commun pour définir quelles activités sont durables. Dans quelques mois, les grandes entreprises devront indiquer quelles parts de leur chiffre d’affaires et de leurs investissements correspondent aux activités sélectionnées dans cette classification. L’objectif est de réorienter progressivement les flux financiers vers cette partie « vraiment verte » de l’économie. Les investissements massifs pour répondre aux exigences du décret tertiaire pourront participer à cet alignement avec la taxonomie verte.

Inscrire le décret tertiaire au cœur des stratégies

Les directions générales et financières doivent anticiper et se saisir du décret tertiaire dès maintenant, afin d’en faire un puissant levier de transformation et de différenciation pour leur entreprise. Elles ont les moyens de donner l’impulsion stratégique, qui répondra aux trois conditions clés de ce succès :

• Définir un projet énergétique et patrimonial global, en identifiant l’intégralité des actions à réaliser, en les hiérarchisant et les échelonnant sur plusieurs années. Cette vision d’ensemble est primordiale pour garantir l’efficacité des travaux, optimiser leur durée et leurs coûts
Anticiper les investissements associés, les répartir et trouver le bon mix de financements, diversifié et adapté à des projets énergétiques, afin de préserver les ratios et la capacité d’endettement.
S’entourer des expertises multiples indispensables au bon déroulement d’un accompagnement décret tertiaire, qu’il s’agisse de compétences environnementales, financières, digitales, et assurer une bonne synchronisation au niveau de la direction générale.

Le décret tertiaire contraint à agir dans le sens d’une nécessaire décarbonation de notre économie. Au lieu de subir cette contrainte, les dirigeants doivent s’en servir pour assurer performance et pérennité à leur entreprise, et entamer un inévitable changement de trajectoire.