Vache folle et COVID-19 : reconsidérer notre utilisation du vivant

La main de l’Homme à l’origine de crises sanitaires inédites

Notre série « Les rebonds » vous replonge dans les crises passées qui ont marqué le monde, afin d’en tirer des enseignements pour imaginer l’après COVID-19.

Un nouveau risque sanitaire déclenché par les pratiques humaines

A la fin des années 80, la maladie neuro-dégénérative ESB (encéphalopathie spongiforme bovine), plus connue sous le nom de « maladie de la vache folle », provoque la mort de nombreux bovins en Grande-Bretagne. A l’origine de cette épizootie, on trouve une toute petite protéine, le prion, pas vraiment vivant, mais très infectieux. Cet agent pathogène se serait retrouvé dans des farines animales, utilisées pour l’alimentation du bétail.

La crise prend une ampleur particulière à partir de 1996, lorsque le gouvernement britannique annonce que la transmission à l’homme est possible via la consommation de produits carnés, déclenchant une variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ). Des épidémiologistes annonçaient une « bombe sanitaire », faisant plusieurs dizaines de milliers de morts. Finalement, la crise touche directement ou indirectement 57 pays, mais seules 224 personnes à travers le monde auraient développé une MCJ par l’alimentation, dont 27 en France.

La crise de la vache folle reste cependant un cas d’école car elle démontre que, par négligence, et en étant guidées par des considérations purement mercantiles, des décisions humaines ont induit un nouveau risque sanitaire majeur et fragilisé la filière bovine durablement, notamment en France et en Grande-Bretagne.

Des progrès pour la filière, mais de lourdes conséquences socio-économiques

La crise de l’ESB est la première grande crise sanitaire médiatisée dans le secteur de l’alimentation, marquant les esprits avec ses images de vaches chancelantes. La maîtrise de ce nouveau risque s’est faite au prix de mesures drastiques, qui ont profondément fait évoluer le secteur économique, les politiques publiques de sécurité sanitaire des aliments, et changé la donne pour le consommateur et le citoyen.

Pour limiter rapidement l’épizootie, des troupeaux entiers sont abattus et les produits retirés massivement des magasins. Les farines animales dans l’alimentation du bétail sont également interdites. A moyen-terme, une nouvelle approche de la sécurité alimentaire « de la fourche à la fourchette » se met également en place au niveau européen, avec un corpus de 5 règlements. Elle institue notamment l’obligation de traçabilité pour l’ensemble des maillons de la filière de production des denrées alimentaires.

Ces mesures strictes entraînent de lourdes conséquences socio-économiques pour la filière. Une crise de confiance des consommateurs s’installe et ne fait que l’aggraver : effondrement de la consommation de viande, prise de conscience de pratiques « contre-nature » guidées par la seule rentabilité, émergence d’une sensibilité collective au bien-être animal, ou encore prémices de l’agribashing.

Il est clair que la filière ne s’en est jamais vraiment remise. Toutefois, cela l’a aussi poussée à prendre une autre direction, vers plus de transparence et le « produire moins, mais mieux », avec l’indication du « né, élevé, abattu », devenue obligatoire sur les étiquetages, l’émergence des filières géographiquement identifiées et labellisées (Viande Bovine Française, Porcs Français), etc.

S’inspirer du vivant au lieu de le contraindre

De nombreux éléments fondateurs de la crise ESB sont valables pour celle que nous vivons actuellement : nouvelle maladiepassage d’une barrière inter-espècesmesures de gestion d’enverguredimension internationale… Néanmoins, la crise du COVID-19 est sans précédent à différents égards : sa vitesse de propagation (quelques mois), son universalité (tous en même temps et dans tous les domaines de la vie économique et sociale) et sans doute son bilan (plus de 200 000 morts dans le monde, à date).

Dans les deux cas, la main de l’Homme est en tout cas à l’origine de crises sanitaires inédites. La mauvaise habitude de vouloir contraindre la nature pour la soumettre à nos modes de vie et de production est source de bouleversements de plus en plus considérables, qui pourraient causer notre perte. Il est temps de quitter l’artificialisation de la nature. Plutôt que de la tordre, apprenons à l’observer et la comprendre. Plutôt que de l’exploiter, explorons et inspirons-nous de ses mécanismes. Résilient par nature, le vivant a de nombreuses solutions à apporter aux organisations et systèmes de production humains : s’approvisionner en circuits courts, ne pas stocker irraisonnablement, tout réutiliser ou recycler, s’adapter et coopérer avec son milieu, croiser techniques et biomimétisme…

A la suite de cette pandémie du COVID-19, le monde ne sera plus comme avant. Préparons cet après.

Par Philippe Droin,
Directeur BU conseil, GreenFlex