De l’île de Pâques au COVID-19

Respecter l’équilibre des écosystèmes ou engager notre déclin ?

Notre série « Les rebonds » vous replonge dans les crises passées qui ont marqué le monde, afin d’en tirer des enseignements pour imaginer l’après COVID-19.

Chute de l’île de Pâques : le dérèglement d’un écosystème fragile ?

Située en plein cœur de l’Océan Pacifique et mondialement connue pour ses imposantes statues (les moaïs), l’île de Pâques est une terre volcanique de 169 km² dont la population d’origine aurait disparu. Plusieurs théories ont été avancées pour expliquer cette catastrophe démographique. Parmi elles, deux sont liées à une supposée déforestation de l’île.

D’après Jared Diamond, cette chute représenterait « le meilleur exemple d’une société qui se détruit par la surexploitation de ses propres ressources ». L’auteur du livre Effondrement soutient la thèse de l’écocide pour expliquer la disparition de la civilisation Rapa Nui. Obnubilées par la quête de pouvoir, les différentes tribus qui habitaient l’île auraient abattu les arbres de la forêt, dans le but de déplacer ces colosses de pierre, symboles de leur puissance. Cette poursuite de reconnaissance, combinée à l’agriculture sur brûlis et à la construction de pirogues pour alimenter une population importante, aurait conduit à la déforestation complète de l’île. Démunis face à cet écosystème fragile et capricieux, les habitants se seraient alors livrés à des guerres intestines parachevant la chute de leur civilisation.

Carl Lipo et Terry Hunt, deux archéologues à l’origine d’une étude publiée dans Science en 2006, proposent une autre explication au déboisement de l’île de Pâques. Débarqués avec les premiers colons polynésiens, les rats en seraient la principale cause. Dévorant les fruits, les racines, les graines ou encore les œufs des espèces locales, ce rongeur importé par l’homme aurait détruit la flore et l’avifaune de l’île. Dans ces conditions, impossible de développer l’agriculture ou de construire suffisamment de pirogues pour fuir ou aller se ravitailler en haute mer.

COVID-19 : une crise de la biodiversité maltraitée

Si le caractère direct ou indirect du déséquilibre de l’écosystème de l’île de Pâques par l’homme reste à trancher, il est déjà possible d’être plus affirmatif sur les causes de la pandémie actuelle. Le Covid‑19 est une zoonose (une maladie transmise de l’animal à l’humain) causée par l’interférence de l’homme sur la biodiversité.

Sans la surexploitation des ressources qui conduit à la destruction des espaces naturels, sans la chasse et la vente d’espèces rares et exotiques, le pangolin soupçonné d’être à l’origine de l’épidémie mondiale n’aurait jamais pu être en contact avec l’homme pour le contaminer. Cet animal solitaire et nocturne vivant dans les forêts tropicales d’Asie et d’Afrique est en fait l’une des espèces les plus braconnées au monde pour sa viande et ses écailles. Comme l’indique Phillipe Grandcolas dans une interview, « l’épidémie du Covid-19 est la conséquence d’une biodiversité que l’on maltraite ». Par son développement irréfléchi, l’homme d’hier ou d’aujourd’hui provoque une simplification du vivant, ce qui le rapproche d’agents pathogènes auxquels il n’avait jamais été exposé jusqu’alors.

Préserver l’équilibre des écosystèmes

Bien qu’à court terme, le confinement et la mise au point de traitements médicaux soient les seules solutions pour sortir de la crise sanitaire, l’histoire plus récente de l’île de Pâques offre des réponses à mettre en œuvre pour prévenir ce type de déséquilibres sur la durée.

A l’image du gouvernement chilien qui a organisé la création d’un sanctuaire marin de plus de 720 000 km2 autour de l’île en 2017, il est primordial de travailler à la préservation de la biodiversité. Cette sanctuarisation est d’autant plus intéressante qu’elle est à l’initiative des Pascuans, qui ont développé au fil de leur histoire une conscience écologique très forte. Il serait même possible d’aller plus loin en restaurant la biodiversité. C’est l’objectif du projet de reboisement de l’île de Pâques, baptisé Umanga Mo Te Natura « Travailler ensemble pour la nature ».

Enfin, aucun salut n’est envisageable à terme sans un changement profond des comportements et des modes de vie. Pour préserver l’équilibre des écosystèmes, il est vital de stopper la chasse et le commerce d’espèces sauvages pour satisfaire des envies fantaisistes, de revoir les modèles d’élevage mettant en contact un grand nombre d’animaux en promiscuité, et de repenser le rapport de l’homme à la nature pour réduire son impact. C’est ce virage écologique qu’ont entamé les autorités chiliennes, en décidant notamment de limiter le tourisme sur l’île à partir de 2018.

A présent, il est important de faire des choix. Sommes-nous vraiment décidés à agir pour accélérer la transition de nos sociétés vers des modèles plus bénéfiques pour la nature et donc pour l’homme, ou allons-nous nous contenter de mesures à court terme en laissant assumer aux futures générations les conséquences des prochaines crises ?