Décarboner tous les secteurs grâce à l’agriculture

Il faut décarboner tous les secteurs, et vite. Alors que tous dépendent de l’agriculture en amont ou en aval de leurs activités, elle peut devenir un appui clé. Soutenir l’avènement d’un modèle agricole décarboné et respectueux des écosystèmes… et se sauver soi-même ?

 

par  Elise Bourmeau, Directrice Conseil et Camille Poutrin, Cheffe de Projet

Agriculture et décarbonation, quel rapport ?

La contrainte réglementaire (CSRD, taxonomie verte européenne…) et la pression de la société civile redoublent face à l’urgence climatique. Les acteurs économiques sont appelés à s’engager plus sincèrement et intensément pour réduire leur impact. Afin de contenir l’augmentation de la température moyenne entre +1,5 et +2°C d’ici 2100, on les prie de réaliser leur Bilan carbone® et de définir un plan d’action compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris. De plus en plus attendues et vérifiées, leurs trajectoires bas carbone doivent couvrir les trois scopes. En amont, en aval, et au cœur de leurs activités, comme dans leurs investissements, les entreprises doivent à la fois réduire leurs émissions à travers des stratégies de décarbonisation, renforcer le stockage du carbone, et utiliser massivement énergies renouvelables et produits biosourcés. Sur l’ensemble de la chaîne de valeur, l’agriculture devient alors un allié essentiel.

Vue aérienne de vignobles

Pourquoi décarboner l’agriculture ?

Il faut dire qu’elle est mêlée au dérèglement climatique à trois titres :

  • L’agriculture relève d’abord des causes. En 2019, le secteur agricole représentait 19 % des émissions¹ de gaz à effet de serre (GES) en France, soit la deuxième source principale. Ces émissions proviennent principalement des engrais de synthèse et du méthane issu des élevages.
  • Les exploitations sont aussi particulièrement victimes de ce réchauffement. La dégradation de l’environnement et les aléas climatiques croissants les mettent de plus en plus en difficultés : sécheresses à répétition, périodes de gel tardives, remontée des ravageurs, avancée des moissons, appauvrissement des sols…
  • Pourtant, l’agriculture peut procurer des solutions majeures face au défi climatique. Elle doit bien sûr réduire fortement ses émissions, mais peut aussi contribuer à absorber les GES qui s’accumulent dans l’atmosphère, en optimisant le rôle des puits de carbone naturels (sols, haies, agroforesterie, etc.). Pour désigner les approches qui tendent vers ce double objectif, on parle d’agriculture « bas carbone », ou d’agriculture riche en « carbone vivant », si l’on veut mettre l’accent sur la réhausse du stock de matières organiques des sols, gage d’une fertilité durable et de la résilience des productions.

Dans son dernier rapport², le GIEC estime de 20 à 30 % la part de réduction des émissions que le secteur AFOLU (agriculture, foresterie, et autres usages des terres) pourrait représenter dans un scénario +2°C à horizon 2050.

Un homme blanc dans une serre arrose des plants

A quoi ressemble l’agriculture bas carbone ?

Pour le ministère de l’agriculture et de l’alimentation³, GreenFlex a analysé les freins au développement de cette agriculture pauvre en émissions et riche en carbone stocké. Concrètement, les changements souhaités de la part des agriculteurs sont profonds et parfois onéreux. On espère à la fois :

  • une évolution des pratiques culturales et des systèmes de production pour réduire les émissions de GES : diminution des engrais azotés par le recours aux matières organiques fertilisantes et aux légumineuses, suppression des labours profonds, sols couverts, diversité et allongement des rotations pour les cultures, etc.
  • une diminution des émissions liées aux bâtiments, serres et équipements sur l’exploitation : sobriété et efficacité énergétique des machines et bâtiments, substitution des carburants et combustibles par des produits biosourcées, bioénergies et énergies renouvelables électriques, etc.
  • une augmentation du stockage de carbone dans les sols et la biomasse : maintien d’un sol vivant, mise en place de haies, application des principes d’agroforesterie (association d’arbres et de cultures sur une parcelle) ou d’agriculture régénérative, etc.

Ces transformations et leurs coûts ne peuvent reposer sur les seuls agriculteurs. De la fourche à la fourchette, tous les maillons doivent participer à renouveler les filières, convaincre, former, et financer. Première destination de la production agricole, l’industrie agroalimentaire est particulièrement attendue pour accompagner cette évolution, via des stratégies de décarbonation. L’approvisionnement en matières premières agricoles représente d’ailleurs la majorité de son impact carbone. Néanmoins, aucun secteur n’existe hors-sol. Tous dépendent du vivant. Beaucoup sont liés à l’agriculture en amont de leurs activités : textile, cosmétiques, pharmacie, solvants, mais aussi chimie du végétal ou équipementiers automobiles… En bout de chaîne, certains acteurs comptent également sur elle pour la valorisation de leurs effluents et biodéchets.

Quel rôle des autres secteurs ?

L’étude réalisée pour le ministère montre les besoins en formation et information sur le sujet. Les acteurs agroalimentaires sont particulièrement bien placés pour sensibiliser et accompagner leurs producteurs. Le soutien financier est tout autant clé : il faut rémunérer les bonnes pratiques. En guise de compensation des émissions résiduelles, les coopératives agricoles paient par exemple des crédits carbone volontaires à leurs adhérents. Pour d’autres secteurs aussi, les primes filières peuvent permettre de subventionner le colza bas carbone, qui servira à produire des biocarburants. On peut également nouer des partenariats avec les collectivités territoriales, soutenir des initiatives ou des fonds locaux.

Plus globalement, il importe de repenser l’achat de ses matières premières, en privilégiant le décarboné, et le juste prix. Les entreprises agroalimentaires doivent mettre sur le marché des produits mieux-disants, issus de cette agriculture plus vertueuse pour l’environnement. Ainsi, elles participeront en même temps à l’évolution des pratiques alimentaires. Le GIEC lui-même signale cette nécessaire évolution de la demande, comme levier majeur de réduction des émissions. Cela vaut pour les régimes alimentaires, et pour tous les produits issus de la bioéconomie : construction avec du bois ou du chanvre dans le bâtiment, matières biosourcées pour l’industrie textile, etc.

Plus qu’une agriculture bas carbone, il s’agit de viser un autre système économique et de consommation : un modèle bioéconomique et circulaire, qui joue avec, et non contre le vivant. Favoriser une autre forme d’agriculture, c’est contribuer à réduire les émissions d’un secteur très émetteur, renforcer la séquestration du carbone, conduire intelligemment sa stratégie bas carbone, mais aussi accroître notre souveraineté alimentaire et notre résilience économique et agronomique, préserver ou restaurer la biodiversité, dynamiser des bassins d’emploi et la vie de nos territoires. Alors que l’humanité franchit les limites planétaires une à une, nous n’avons plus le choix ; il est urgent de diminuer les pressions sur l’environnement. D’autant plus que ce dernier a de nombreux co-bénéfices à nous apporter.

1 Les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture – Notre environnement
2 Changement climatique 2022, atténuation

3 Dispositifs de valorisation des efforts d’atténuation du dérèglement climatique en agriculture : genèse, enjeux et perspectives – Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire