Yakafokon : « Il faut éliminer le plastique »

Lutter contre les conséquences environnementales et sanitaires du plastique ne peut passer par un simple remplacement. Le choix des matériaux ne devrait venir qu’après un questionnement sur l’usage, et une réflexion globale sur les impacts

 

par Laure Blondel, directrice conseil et Stefan Bachevillier, chef de projet

« Pour sauver la planète, il n’y a qu’à… Il faut… Les entreprises doivent… » Ces injonctions vous sont familières ? Dans la série « Yakafokon », GreenFlex démêle le vrai du faux dans les grands poncifs censés guider le monde de demain, afin d’aider les acteurs économiques à changer concrètement et efficacement de trajectoire.

Le plastique : ennemi public numéro 1 ?

Avec une flambée de la livraison et de la vente à emporter, la crise sanitaire fait craindre un retour en force du plastique jetable. Or, les impacts négatifs du plastique ne sont plus à démontrer : extraction intensive d’énergies fossiles en amont, risques pour la santé lors de son utilisation, pollution induite détruisant la biodiversité terrestre et marine… Avec un taux de recyclage encore très faible (moins de 25 % en France en 2018, toutes utilisations confondues), son empreinte ne fait qu’augmenter.

Par conséquent, rien d’étonnant à ce que la société civile se soit emparée du sujet, et pousse les industriels à multiplier les démarches pour se débarrasser à tout prix d’un matériau désormais boudé par les consommateurs. Pour beaucoup d’acteurs, le plastique est en plus un enjeu central dans leur démarche de décarbonationPourtant, toutes les stratégies de remplacement ne se valent pas, et les fausses bonnes idées fleurissent.

La question de l’usage avant tout

Depuis les années 50, les plastiques ont permis des avancées technologiques remarquables dans de nombreux secteurs : médecine, agroalimentaire, logistique, high-tech. Ici plus léger, là plus résistant, parfois plus flexible, souvent moins onéreux… il peut même contribuer à limiter l’impact CO2, en réduisant le poids des produits transportés. Dans les faits, le plastique le plus fréquemment montré du doigt est celui des emballages, a fortiori ceux à usage unique, et pour cause : toutes ces ressources et cette technologie pour ne servir… qu’une fois ?

Afin de mieux apprécier l’utilité du plastique, il faut donc revenir à la notion essentielle d’usage. A quel besoin (fondamental) répond mon produit ou son emballage ? Quels axes d’éco-conception peut-on envisager pour réduire son poids, allonger sa durée de vie, favoriser sa réparation ? Remplacer une paille en plastique à usage unique par une paille en carton à usage unique, c’est passer à côté de cette remise en cause impérative de l’utilisation.

Choisir son matériau en raisonnant global

La sobriété doit faire partie de l’équation sur le long-terme. C’est avec ce prérequis que peut se poser la question du matériau. Le choix de ce dernier doit répondre à une réflexion globale, c’est-à-dire dépasser le remplacement systématique du plastique, pour intégrer l’ensemble du cycle de vie du produit et tous les impacts, qu’ils soient environnementaux ou sanitaires.

D’ailleurs, il n’y a pas un, mais des plastiques. Si l’on considère ceux des emballages, certains seulement sont recyclables. Au-delà de leur composition intrinsèque, cela dépend des filières de recyclage qui existent ou non. « Recyclable » et « recyclé » marquent naturellement des points. Toutefois, le critère de recyclabilité ne doit pas se transformer en « droit à polluer » car le process de fabrication du nouvel emballage consomme aussi de l’énergie.

Le plastique biosourcé est de plus en plus plébiscité par les industriels. Il peut effectivement présenter une bonne alternative à l’extraction de nouvelles ressources fossiles. C’est le cas lorsqu’on utilise des co-produits agricoles, comme les résidus de canne à sucre, à condition de ne pas remplacer un impact par un autre. À nouveau, la pertinence de la matière première utilisée pour fabriquer du plastique biosourcé s’évalue sur l’ensemble du cycle de vie, en intégrant le transport, l’éventuelle compétition avec la production alimentaire ou la participation à la déforestation, l’utilisation intensive d’eau ou d’OGM. Le PLA, fabriqué à partir du maïs, est par exemple controversé.

Dans tous les cas, la communication des marques doit être clarifiée auprès du consommateur, qui a tendance à confondre « recyclé » et « recyclable », ou assimiler « biosourcé » et « compostable ». En réalité, tous les plastiques biosourcés ne sont pas compostables, et quand ils le sont, ils nécessitent souvent des conditions industrielles, bien différentes de celles des composts individuels.

Une approche territoriale pour l’organisation des filières

Au-delà du remplacement des matériaux, d’autres solutions ont vu le jour pour favoriser la réduction des déchets plastiques, comme la logistique inversée ou la consigne. Elles garantissent certes moins de plastique, mais n’échappent pas aux pollutions ou impacts cachés. Le bénéfice environnemental de la consigne requiert que les lieux de consommation, de collecte et de remplissage soient très proches les uns des autres, et que les réutilisations du contenant soient nombreuses. Elle incite donc à raisonner à une échelle territoriale, et non plus uniquement nationale.

L’innovation des filières doit passer par la collaboration entre acteurs : des grands groupes et des plus petits, des producteurs et des distributeurs, des entreprises et des élus locaux. Les déchets des uns peuvent devenir les ressources des autres à un échelon territorial. Cette collaboration existe déjà, par exemple pour l’énergie, en récupérant la chaleur produite par une usine pour alimenter un réseau de chaleur urbain.

Innovons dans l’approvisionnement, la production, la distribution. Réfléchissons avant tout à nos usages en tant qu’industriels, mais aussi en tant que consommateurs, et pensons circulaire ensemble.