Soldes, consommation : quelle valeur pour des produits dont on ignore tout ?

Connaître la composition et la façon dont sont fabriqués les produits qui nous entourent est indispensable pour valoriser les objets en cohérence avec leurs impacts sur la santé et l’environnement. C’est aussi une première étape pour tendre vers une consommation plus sobre, durable, utile, joyeuse, et initier un mouvement vers un modèle économique réparateur

 

Lucie Echaniz

par Lucie Echaniz, Directrice Conseil

Savoir de quoi sont faits nos produits

En décembre, le projet européen LIFE AskREACH présentait une nouvelle application, Scan4Chem, qui s’intéresse à la toxicité des substances contenues dans de nombreux produits grand public : jouets, meubles, textile, appareils électriques, etc. Déjà lancée en Allemagne et au Luxembourg, elle devrait voir le jour en France dans les semaines à venir. Il n’est pas dit que ce projet rencontrera le succès de ses applications voisines, comme Yuka et QuelCosmétic, mais elle remet à l’agenda un sujet trop souvent tu, à savoir : les fabricants, distributeurs, et évidemment les consommateurs, ignorent globalement tout de la composition des produits qui sont mis sur le marché.

A la différence des applications pionnières, qui s’appuient sur les ingrédients listés sur les étiquettes des produits alimentaires et cosmétiques, Scan4Chem permettra d’ajouter des informations sur la marque ou l’article analysé, et surtout d’envoyer directement aux fabricants ou distributeurs des demandes d’informations sur la présence de substances très préoccupantes (Substances of Very High Concern, SVHC).

Changer les pratiques du marché pour répondre à un enjeu de santé publique

Actuellement, la liste des SVHC comporte 201 substances identifiées comme prioritaires au niveau de l’UE, notamment à cause de leurs propriétés de danger (cancérigène, perturbateur endocrinien, persistant dans l’environnement, etc.). Ces substances sont ciblées afin de progressivement restreindre, voire interdire leur utilisation sur le sol européen. En revanche, ces obligations ne concernent pas les produits finis fabriqués hors UE. Lorsqu’ils sont importés en Europe, ils peuvent donc légalement contenir des substances SVHC, sans que le metteur sur le marché en soit informé.

Les premières inspections tests, menées au niveau de l’UE en 2019 sur un panel de 682 produits de grande consommation, montrent que 12 % contenaient des substances figurant sur cette liste des SVHC. De plus, les 405 entreprises étudiées n’étaient pas en mesure de fournir cette information sous 45 jours après demande.

Plutôt que de cibler des procédés, articles ou substances en particulier, ce projet pourrait être l’occasion d’impulser une dynamique pour que tous les acteurs de la chaîne alimentent ensemble cette base en données sur tous les matériaux et substances qui composent les produits, même au-delà des SVHC actuelles. En effet, l’objectif plus large est de contribuer à réduire l’exposition des consommateurs : en les sensibilisant et les informant, on espère que ces derniers modifieront toujours plus leurs comportements d’achat vers de meilleurs produits, et qu’ils influenceront ainsi la conception des produits comme la sélection des distributeurs.

Redonner un sens à nos objets

L’enjeu est loin d’être seulement réglementaire. Que savons-nous des objets qui nous entourent ? Que savent les metteurs sur le marché qui nous les vendent ? De quoi est faite la chaise sur laquelle je suis assise ? Ce stylo que je tiens et dont l’encre se retrouve sur mes mains ? Enfin plus largement : qui les a produits ? Où ? Dans quelles conditions de travail et de transport ? Que deviendront-ils en fin de vie ?

Que coûtent réellement nos produits, si nous incluons les impacts sanitaires, environnementaux et sociétaux qui en résultent ? Est-ce la déconnexion entre ces réalités et l’article final qui permet notre addiction à la consommation ? Soldes, ventes privées, Black Friday… les noms des opérations commerciales changent, mais l’augmentation des achats se poursuit. Toutes ces actions brouillent encore davantage la compréhension de la valeur des objets, avec des signaux prix tellement fluctuants qu’ils en paraissent arbitraires.

Connaître « le cœur » de nos objets pour mieux les choisir, les apprécier et réintégrer dans la détermination de leur prix des critères objectifs et transparents, basés sur leurs externalités positives (absence de toxicité, économie régénérative, etc.) constitue la première étape d’une reconquête sanitaire, environnementale, sociale et humaniste.