Puits de carbone : les villes au secours de l’Amazonie ?

L’Amazonie brésilienne émet désormais plus de carbone qu’elle n’en absorbe. Plus que jamais, les villes et métropoles doivent évoluer et prendre leur part au captage du CO2

 

Marc-Elian Duffrene, chef de projet

par Marc-Elian Duffrene, chef de projet

Massifier les puits de carbone urbains

Une nouvelle étape a été franchie dans la dégradation du vivant. Une étude relayée par Nature Climate Change fin avril révèle que la forêt amazonienne brésilienne émet désormais plus de CO2 dans l’atmosphère qu’elle n’en absorbe. Les scientifiques précisent que les autres pays amazoniens compensent pour l’instant ce déséquilibre. Néanmoins, la dynamique ne présage rien de bon quant à l’éventuelle régénération de cet écosystème unique au monde et essentiel dans la lutte contre le changement climatique. Pour mémoire, 11 088 km2 de forêt tropicale ont été rasés dans l’Amazonie brésilienne entre août 2019 et juillet 2020.

Dans ce contexte de fort affaiblissement des grandes forêts primaires, la préservation est urgente. Mais compte-tenu des objectifs internationaux de limitation des émissions de gaz à effet de serre, cette seule approche est insuffisante. Les villes et les métropoles doivent s’engager pour la massification de puits de carbone « urbains », car des solutions existent pour que nos espaces citadins prennent leur part au captage de CO2.

Façade végétalisée de 25 Verde bâtiment d'habitation végétalisé en bois

La résidence 25 Verde : quand le bâti cède la place au végétal

L’architecte Luciano Pia est par exemple à l’origine de la résidence de 5 étages « 25 Verde ». Souhaitant réintroduire le végétal au cœur de l’espace urbain turinois, il a imaginé 63 appartements comme des ilots indépendants, disposant de grandes terrasses avec chacune deux arbres à haut tronc. Surnommé « la jungle urbaine », ce projet est particulier du fait de sa conception : l’écosystème forestier a été pensé avant la programmation des résidences, et non l’inverse. L’arbre n’est pas un simple élément ornemental du projet : il en est ici l’élément central et fondateur.

En tout, ce sont plus de 150 arbres qui ont été plantés, d’une taille variable de 2,5 à 8 mètres, en privilégiant des espèces à feuilles caduques pour optimiser les apports solaires en hiver. Bien qu’il varie selon l’espèce et l’âge de l’individu, le potentiel moyen de captage de carbone d’un arbre de 5 m3 est estimé à 5 tonnes de CO2. Les arbres plantés pour le projet pourraient donc stocker environ 750 tonnes de CO2 pour une emprise au sol de 4 000 m2. Le potentiel est moins important qu’une forêt, mais le résultat satisfaisant pour un projet présentant une densité végétale bien supérieure aux standards des opérations de construction en France.

Rappelons toutefois un principe de base : planter des arbres en toiture ou sur les terrasses d’un bâtiment nécessite de renforcer sa structure pour soutenir ce surpoids. Il est dès lors nécessaire pour ce type de projet de réaliser en amont une analyse de cycle de vie pour s’assurer que le bilan environnemental de cette utilisation supplémentaire de matériaux de construction est bien positif, en regard du carbone stocké par les arbres.

Branches d'arbres dans une forêt

 

De la préservation à la régénération : créer de nouveaux écosystèmes naturels en ville

Au-delà des projets pionniers, il est urgent de passer à l’échelle. Les initiatives intégrant ces réflexions commencent à essaimer sur nos territoires. On peut par exemple évoquer les expérimentations de « micro-forêts de Miyawaki », désignant une méthode de végétalisation dense et compacte de l’espace urbain inspirée des écosystèmes forestiers, et dont plusieurs opérations ont été réalisées en Ile-de-France.

Les collectivités territoriales disposent de leviers réglementaires pour coordonner et accélérer la végétalisation des villes. Les pouvoirs publics peuvent ainsi accompagner les maîtres d’œuvre dans leur projet et fixer par l’intermédiaire des documents d’urbanisme des seuils minimums de végétalisation du bâti par mètre carré construit. Des continuités « vertes » peuvent être aménagées au sein même de la ville, favorisant la circulation de la biodiversité, atténuant les nuisances sonores à proximité des axes de circulation automobile, ou permettant aux piétons de profiter d’espaces ombragés. L’espace public peut-être redessiné : l’arbre devient un élément de jointure ou de séparation naturel du bâti existant. En contribuant à retravailler la trame urbaine existante, le végétal s’impose comme un outil à part entière de l’aménagement urbain.

L’actualité nous le démontre, les stratégies fondées uniquement sur des principes de préservation se révèlent inefficaces. Les espaces urbains doivent devenir un terrain de jeu pour la création de nouveaux écosystèmes naturels. Laissons la forêt réinvestir nos habitats et accélérons la transformation de nos espaces urbains pour une véritable pérennisation du vivant.