2008-2020 : la finance, de coupable à acteur de la transition ?

Notre série « Les rebonds » vous replonge dans les crises passées qui ont marqué le monde

Yaël Zylberberg

par Yaël Zylberberg, Directrice Conseil Finance durable

Crise de 2008 et crise du COVID-19, incomparables par nature

Au lendemain de la faillite de la banque d’investissement américaine Lehman Brothers le 16 septembre 2008, entraînant l’effondrement du système bancaire et financier, l’économie mondiale sombrait dans la pire crise financière depuis 1929.

Devant l’affolement des bourses et la récession économique mondiale, il est tentant de faire le rapprochement entre la crise de 2008 et celle que nous traversons, or la comparaison s’arrête à l’intensité de l’effondrement des marchés. En effet, en 2008, elle trouvait son origine dans des produits financiers toxiques et une chaîne de dysfonctionnements du secteur financier, qui ont ensuite contaminé l’économie. Aujourd’hui, le point de départ est une crise sanitaire, dont la réponse entraîne une crise économique, qui se répercute finalement sur les marchés financiers.

Avec 180 pays touchés, 4 milliards de personnes confinées, une production et une consommation à l’arrêt, la crise actuelle est inédite par son universalité et son ampleur. Elle entremêle crises sanitaire, économique, et financière, et ne trouve aucun point de comparaison dans l’histoire. Cela explique qu’aucun modèle ne s’applique et qu’elle crée une incertitude radicale, en particulier sur les marchés financiers.

Changement de perception de la finance

L’envergure et la vitesse des mesures de sauvetage économique sont inégalées, avec la mobilisation de plus de 7 000 milliards de dollars de dépenses budgétaires, de prêts, et de garanties des Etats et des banques centrales, pour les entreprises et les ménages. La relance dépendra de la survie des entreprises et donc de la rapidité de déploiement des mesures, et ce avec l’appui des banques, leviers incontournables de soutien aux entreprises par le recours au crédit. En 2008, la finance était la cause et se voyait reprocher sa déconnexion et son cynisme, elle apparaît aujourd’hui comme un maillon essentiel de la solution et renoue enfin avec l’économie réelle.

Le choc de la faillite de Lehman Brothers passé, la réponse d’urgence avait été monétaire, puis réglementaire pour éviter que ces dysfonctionnements ne se reproduisent. Elle avait conduit à une remise en question féroce du capitalisme et accéléré l’émergence de la finance dite « responsable », même si beaucoup reste à faire. Aujourd’hui, cette remise en cause franchit une étape supplémentaire et pointe la mondialisation et notre dépendance sur les chaînes d’approvisionnement essentielles – pharmaceutique, alimentaire, énergétique, ou encore technologique. Pour tourner cette page, les Etats chercheront probablement à retrouver leur indépendance stratégique, mais devront en même temps mieux anticiper les risques globaux – sanitaires, climatiques, cyber, etc.  – dont la maîtrise exige une forte coopération aux niveaux européen et mondial.

La finance responsable, plus résiliente et pilier de l’après COVID-19

Pendant la dernière décennie, la finance, souvent accusée de court-termisme, a enclenché un virage vers la durabilité. De nombreux gestionnaires d’actifs intègrent aujourd’hui des critères environnementaux, sociaux, et de gouvernance – les fameux critères ESG – dans leurs décisions d’investissement. Beaucoup d’études montrent la surperformance de ces fonds sur les périodes longues, et ce début de krach financier met en lumière leur capacité de résilience : au premier trimestre 2020, les fonds ESG ont mieux résisté que leurs équivalents traditionnels, y compris sur le mois de mars, qui a connu l’effondrement des marchés.

Les investisseurs ont un rôle décisif à jouer dans les orientations futures. La pandémie actuelle a mis au premier plan les conséquences sociales des crises économiques, et remis au centre du jeu le S d’ESG, qui en a toujours été le parent pauvre. Il est probable que les investisseurs réorientent leur attention sur ces considérations sociales, vraisemblablement au détriment du focus climatique dans les mois à venir. Il faudra être vigilant au « social washing » et à la tentation de revoir à la baisse les engagements verts, qu’il est toujours facile d’opposer à l’emploi.

Cette crise constitue un stress test grandeur nature et totalement inattendu pour notre modèle de société qui, au-delà du drame sanitaire et social, nous offre malheureusement une opportunité de remise en question comme seuls les chocs majeurs peuvent en offrir. Après avoir fait plonger l’économie en 2008, la finance responsable a aujourd’hui toutes les cartes en main pour accompagner les entreprises dans leur nécessaire transformation.